La faillite du pavillon national et l'appétit des armateurs de fret étrangers ont coûté trop cher à la collectivité nationale. C'est en tout cas le constat unanime qui s'est dégagé lors de la journée d'étude consacrée, mardi dernier, à cette problématique du fret maritime par le Forum des chefs d'entreprises (FCE). Le transport maritime était, en effet, au menu de la rencontre de l'organisation patronale, au cours de laquelle, les opérateurs économiques se sont à nouveau fait entendre, exprimant leur ras-le-bol face à cette saignée des devises devenue de plus en plus insupportable. Situation envers laquelle, les pouvoirs publics restent curieusement placides, se réfugiant confortablement derrière des arguments d'absence de pavillon national à même de concurrencer les mastodontes européens du fret maritime. Nacer Eddine Mansouri DG de International Bulk Carriers (IBC) - filiale algéro-saoudienne du groupe public CNAN, l'a d'ailleurs clairement reconnu dans une précédente déclaration à El Watan Economie : «Le marché national du transport maritime profite malheureusement aux armateurs étrangers. Mis à part le transport des hydrocarbures assuré par l'Hyproc (filiale de Sonatrach), l'armement national a disparu. Combien même l'Etat investirait dans l'acquisition d'unités marchandes, le problème des ressources humaines reste à solutionner.» Ajoutant : «Le personnel d'encadrement à terre pour une exploitation commerciale et technique performante au niveau international (la concurrence est rude) n'existe pas. En ce qui concerne le personnel navigant, le personnel qualifié disponible aujourd'hui est très en-deçà de la demande, sa moyenne d'âge variant entre 50 et 55 ans. Il faut au moins 10 ans pour former un capitaine, et au moins 2 ans pour un simple matelot de quart.» L'expert et consultant des transports et logistique, Kamel Khelifa, abonde dans le même sens. A ses yeux, le constat est amer, mais le phénomène n'est pas nouveau.Il a commencé dans les années 1990, lorsque avaient été ouvertes, sans contrepartie, les activités annexes au transport maritime telles que la consignation de navires et le courtage maritimes à des étrangers, jouissant de meilleures capacités d'organisation sur place et bénéficiant de l'apport d'anciens cadres du secteur public, autrefois en position de monopole. Dès lors, renchérit-il, «de meilleurs services étaient offerts par ces transporteurs aux chargeurs qu'ils soient fournisseurs, lorsque le contrat commercial est conclu en CFR (rendu port algérien et pire encore lorsque le contrat est conclu en DDP, volant que le fournisseur s'occupe même des formalités en Algérie) ou FOB, lorsque le destinataire algérien prend en main l'acheminement de son fret». Au caractère très capitaliste, le transport maritime, mode de transport le plus utilisé dans le commerce international (75% du commerce mondial en volume transitent par voie maritime), constitue le moteur d'expansion des grandes puissances économiques dans la mesure où leur PIB dépend des ventes réalisées à l'export. Le pavillon national complètement désarmé ! En Algérie, il constitue un lourd fardeau pour les opérateurs économiques qui est comme une épée de Damoclès pendant au-dessus de leur tête au point de mettre en péril la pérennité de leurs entreprises, l'armement sous pavillon étranger étant en situation de monopole absolue. Une aberration, qualifie cette inexplicable situation M. Khelifa : «Le transport maritime est une activité internationale et aucun monopole ne peut lui être appliqué, même du temps du rideau de fer. Ce sont les commerçants (importateurs et exportateurs) qui décident depuis toujours du transporteur dans le cadre du contrat commercial, selon des termes Fob, coût et fret (devenu CFR, depuis les incoterms de 90, édictés par la CC)». Aux yeux de ce manager du commerce international, l'opérateur économique algérien ne serait pas exempt de tout reproche, il a sa part de responsabilité dans la charge des surcouts liés au fret maritime dont il s'estime être victime. «Avant de jeter la pierre aux transporteurs étrangers, posons-nous la question de savoir qu'a t-on fait pour apprendre aux opérateurs algériens le patriotisme commercial (pratiqué, y compris par les champions du néolibéralisme : les USA et l'UE), à travers l'acte d'acheter ou de vendre. Le problème et la solution sont en nous, nul besoin d'aller chercher des réponses ailleurs. L'opérateur algérien (lorsqu'il importe) s'en remet à son fournisseur pour lui acheminer le produit au plus près de chez lui et lorsqu'il exporte, il demande à son acheteur de venir prendre livraison de la marchandise devant sa porte.» En somme, soutient notre interlocuteur, en l'absence d'encadrement des opérateurs, la maîtrise de la chaîne logistique échappe et continuera d'échapper aux opérateurs algériens. D'où ces surcoûts induits par l'acheminement des produits en provenance ou à destination de l'Algérie. S'inspirer du savoir-faire étranger, et delà, apprendre à maîtriser ces surcoûts, notre pays en avait tenté l'expérience en ouvrant le groupe CNAN aux capitaux étrangers. Un insurmontable échec s'est avéré être cette expérience. En sous-activité dramatique, les filiales, fruits des partenariats conclus, se noient dans d'innombrables difficultés. Le DG d'IBC, M. Mansouri, l'avait admis lorsqu'il nous avait déclaré : «Le partenariat, mis à part le maintien de quelques postes d'emploi et le maintien de 8 navires sous pavillon algérien, a très peu rapporté. Nous nous sommes contentés de louer les navires en coque nue et d'encaisser le produit de la location de ces navires. La gestion et l'exploitation des navires étant du ressort de l'affréteur et donc du partenaire, nous n'avons pas pu profiter de son savoir-faire ni de son expérience. Mais dans le contexte qui prévalait au moment de sa privatisation, CNAN Group devait soit ouvrir les capitaux, soit vendre ce qui restait de la flotte et disparaître. La première option, avalisée par le C P E en ce temps- là, avait été choisie ». Qui est responsable de toute cette déroute du secteur du fret maritime national ? «Avant d'en rendre autrui responsable, il faudra s'interroger sur les raisons du désarmement du pavillon national et toutes les opportunités manquées. Il est une règle internationale qu'il nous faudra comprendre : tout pays (donc tout pavillon national) a droit à un partage égal du fret en provenance ou à destination de ses ports. Mieux encore, si un pays a la capacité de transporter 100% de ses marchandises, aucune loi internationale ne le lui interdit. Bien au contraire, la liberté du commerce aidant, certains pays ont fait du transport maritime une activité stratégique, génératrice d'excédents en devises, se comptant en milliards USD. Mais pour parvenir à ce résultat, il faut avoir conscience des enjeux stratégiques et développer en conséquence du génie et du talent», rétorque M. Khelifa. Pour lui, juguler cette hémorragie financière est toutefois possible, il suffit d'en avoir la volonté politique. «La facture des importations algériennes de 45 milliards USD en 2011, environ le tiers, soit de 10 à 12 milliard USD en devises, sont affectés au transport et à la logistique. Si on arrive à un taux de couverture de 50%, de commerce extérieur par nos propres moyens (et c'est notre droit le plus absolu), c'est la bagatelle de 6 à 7 milliards USD/an que le pays économise en devises». C'est dire que sous d'autres cieux, les économies ont fait du transport maritime un moteur de développement pour lequel le choix d'une stratégie est aujourd'hui primordial.