Cette histoire nous mène cette fois dans les vastes montagnes du Djurdjura au début des années 199O. Les prénoms et le cadre de vie ont été modifiés. Seuls les faits sont véridiques. - J'adore nos montagnes, dit Rahim. D'ici, les montagnes du Djurdjura sont à portée de main, ajoute-t-il, en tendant le bras. Je peux toucher les cimes… - A t'entendre, rétorque Nadia, sa femme, tu dis vrai et que c'est possible.Tu devrais te rendre en ville, peut-être qu'un chantier a besoin d'un maçon. Au lieu de regarder les montagnes et le temps changer, tu devrais chercher du travail, insiste-t-elle. Le travail ne viendra pas à toi, c'est à toi de le trouver. Peut-être que j'use ma salive pour rien et que tu te plais dans cette situation ? - Mais, je n'en peux plus de rester les bras croisés, la rassure-t-il. J'ai proposé à bien des gens de travailler pour presque rien, mais personne ne construit actuellement… - Tu pourrais faire autre chose ! Au moins m'aider dans mon jardin, lui reproche-t-elle. Au lieu de regarder les montagnes, aussi majestueuses soient-elles, elles ne peuvent pas nous nourrir. - Bien, ma chère, dès demain, je retournerais en ville, peut-être que j'aurais plus de chance. Nadia le souhaite de tout son cœur. Tout en étendant le linge, elle a le regard qui s'adoucit. Elle a de la peine pour son mari. Depuis qu'il est sans travail, il passe son temps à rêver. Il ne va pas jouer aux dominos avec ses cousins. Il ne fait presque rien, à part regarder les montagnes. Ces derniers jours, elle a remarqué qu'il se passait du dîner et à deux reprises, il n'est rentré qu'au petit matin, ivre mort. La jeune femme se doute bien qu'il commence à déprimer et elle craint qu'en prenant l'habitude de se confier à des bouteilles d'alcool, il ne revienne jamais à la maison. Dans leur village, il y a une épicerie qui se transforme en bar, la nuit venue. Les habitants se connaissent depuis toujours et tous ont remarqué que Rahim va mal. Certains ont envoyé leur femme voir Nadia. - Ne le laisse pas faire, lui conseille l'une d'elles. Si le peu d'argent que vous avez est dépensé dans un bar, qu'adviendra-t-il de toi et de tes enfants ? Nabila est tout aussi inquiète qu'eux. Elle sait que son mari souffre de la situation plus qu'il ne le laisse paraître, plus qu'il ne le dit. Et c'est pourquoi elle ne se querelle pas et s'efforce d'aborder le sujet calmement. C'est possible quand elle voit ses lueurs dans ses yeux. - Maman, à quoi penses-tu ? Nadia sourit en se tournant vers sa fille Lynda. Elle n'a que huit ans mais elle est très mûre. Elle sait que rien ne va depuis que son père ne travaille plus. Il n'y a presque rien dans le placard à ravitaillement. Au dîner, il y a seulement de la galette de semoule de blé et les rares légumes sont ceux qu'ils cultivent dans le potager. - A quoi pourrais-je penser, sinon à toi ? Dans quelques semaines, il y a le baptême de ton cousin, il te faudra une jolie robe… - Mais papa ne travaille pas… - S'il le faut, j'emprunterais, dit-elle à sa fille en la serrant contre son cœur. Je veux que tu sois la plus belle ce jour-là. - Merci, maman. Est-ce que je peux t'aider à arroser les tomates ? Nadia ne refuse pas. Elle a l'habitude de s'occuper de son potager soit en fin de journée soit très tôt le matin. Elle est là, en cette fin de journée à l'arroser quand elle surprend le regard de son voisin et cousin éloigné de son mari. Mal à l'aise, elle lui tourne du dos. Nadia est une belle jeune femme qui suscite l'admiration des hommes et la jalousie des femmes. En plus de sa beauté, elle est toujours active. Elle s'occupe de ses enfants, de son foyer, de son potager et de ses poules. Elle n'a jamais le temps de discuter avec ses voisines et encore moins avec leur mari. Ces derniers se vengeaient à leur façon, même s'ils ont besoin d'un maçon, ils ne font pas appel à son mari. En les laissant se débattre dans la misère, ils espéraient qu'elle finirait par demander de l'aide, à leurs femmes ou qu'elle s'adresserait à eux… (À suivre) A. K. [email protected]