Liberté : On évoque qu'il n'y avait pas consensus autour de l'idée de l'offensive avancée par Zighoud Youcef ? Si Abdelaziz Nettour : En effet, lors du congrès de Zamen, auquel je n'ai pas pris part, et selon nos responsables qui ont fait le déplacement, l'idée de l'offensive avancée par Zighoud Youcef qui venait de remplacer Didouche Mourad, n'a pas fait l'unanimité. Les responsables du nord constantinois ne voulaient pas se lancer dans une action qui risquait d'étouffer la révolution dans cette région et, partant, dans l'ensemble du pays. Il ne fallait surtout pas mettre le nord constantinois dans la même posture que les Aurès, selon eux. Zighoud Youcef a fini par convaincre le reste des chefs de la deuxième zone sur le fait que les résultats militaires et politiques seraient plus importants que les pertes à subir suite à une éventuelle répression. Il a même pris à son compte les conséquences d'un éventuel échec. Allons maintenant dans les détails. Comment l'offensive a-t-elle été préparée à Collo ? Notre représentant au congrès de Zamen était le Chahid Bekouche Lakhdar. Nous l'avons escorté jusqu'au lieu dit le 21e Kilomètre avant qu'il ne soit pris en charge par d'autres frères. La première réunion de préparation à Collo était, elle, dirigée par le Chahid Amar Chetaïbi désigné par Zighoud Youcef pour diriger les opérations de Collo. Dix-sept militants issus du massif de Collo, dont Bekouche Lakhdar, Sassi Nettour et moi-même, devions nous occuper de la mobilisation des villageois et leur préparation pour la marche sur notre objectif. Quinze militants, tous issus le l'ex-Organisation secrète (OS) dont Rouibah Tahar, Ayache Rabah, Saouli Bachir, Zighed Tayeb, Bouasla Mohamed, pour ne citer que ceux- là devraient s'occuper de Collo-Sidi Achour. Ces derniers, qui étaient en ville car il n' y avait pas à ce jour de maquis proprement dit, devraient nous procurer les cartes de la ville et des points sensibles, des explosifs et de la nourriture. Ils devaient remonter avec nous au maquis après l'offensive. On était 17 militants. Nous travaillons de nuit. Notre mission était de sensibiliser les “mouhibine” à travers les mechtas sans leur préciser la nature de l'opération ni la cible. On était pris par le temps. L'action de sensibilisation devait s'étaler du 13 au 17 août. On n'a pu prendre attache qu'avec 7 mechtas de la région de Béni Zid dans le massif de Collo. Il s'agit du Mzahra, Edemna li Ramdane, Lanineb, El Kharoub, Zerouba, Edardar et Hzaim. Cette mission a été difficile à cause du laps de temps limité et des fuites. Deux “mouhibine”, Foufou et un autre dont j'ai oublié le nom, furent ainsi assassinés par l'occupant. Le 19 août, chacun devrait quittait, individuellement, son domicile pour converger vers le lieu dit Hzaïm. Puis on a pris ensemble le chemin vers le lieu dit Oued Lemssaskha à l'entrée sud de Collo. On était 145 dont 17 militants et le reste des “mouhibine”. Ces derniers n'étaient pas au courant des détails de l'opération. Et la journée du 20 août 1955 vint… Le jour venu, l'armée française déclencha un ratissage du côté de Boumhadjar suite à une trahison. Heureusement que la personne qui nous a donnés ne savait rien sur notre destination. Une fois, l'armée rentrée dans la caserne, les 15 frères de Collo-Sidi Achour nous ont rejoints avec cartes, explosifs et nourriture. Après avoir mangé, c'était du poisson et des oignons, Amar Chetaïbi nous a scindé en 6 sections dotées de quelques fusils, de haches et de bidons d'essence. Deux de surveillance, une de sabotage et 3 d'offensive. La première s'occupait de la surveillance de la route Collo-Skikda et de son obstruction à l'aide d'arbres sciés. La seconde s'occupait de la route Collo- Chéraia. La troisième section est chargée du sabotage, à travers l'incendie des dépôts de liège y compris du port et de la conserverie du poisson appartenant au maire de l'époque. Les trois autres sections, plus opérationnelles, sont chargées d'engager une offensive à partir de la corniche (Trik El Loui), une autre à partir de la Tabana, côté relais et une dernière toujours à partir de la Tabana, mais côté réservoir d'eau. Cette dernière était sous ma coupe. Le mot d'ordre de Amar Chataïbi était le ralliement à midi en ce jour de samedi au centre-ville, plus précisément à la hauteur du café d'Apria. La section que je dirigeais a été la première à entrer à Collo. La section qui devrait pénétrer à partir de la corniche a été accrochée par le garde champêtre et deux de ses adjoints. Assistée par la section qui devrait mener l'offensive à partir du relais, elle finira par forcer le passage. Une fois, en centre-ville, nous l'assiègerons de midi jusqu à 16 heures, soit pendant 4 heures. C'était long ? Oui. Ma section a mené une véritable guerre des villes sur une grande partie de l'actuelle rue Lamouchi-Djamel. Moi et mes hommes étions confrontés à un char qui a fini par blesser quatre de mes hommes à cause des grenades lancées par des soldats qui étaient à l'intérieur. Après avoir assailli le café-bar situé à la place de l'actuel café Boucherak, nous étions aussi confrontés à une résistance d'un garde-forestier qui logeait dans l'immeuble situé au premier du café-Hammam Amrane. On a fini par le tuer. Encerclé à l'avenue Lamouchi, on a utilisé, après avoir moi-même tué un des soldats du char, son appartement comme refuge avant de nous retirer grâce aux terrasses de l'appartement qui donnaient sur l'actuelle avenue Stambouli-Mustapha situé juste au-dessus de la boulangerie Bouasla. On a alors organisé notre retraite à partir de Berkaïd. Et la réaction de l'armée française ? Elle a été neutralisée par l'effet de surprise. Une offensive à midi est si audacieuse qu'elle annihile les forces de l'ennemi. L'effet psychologique était si fort que des colons criaient que l'armée égyptienne a débarqué au port. Les renforts de l'armée française, eux, n'ont pu accéder à la ville que par la mer et après le début de notre retrait. La France a agi par vengeance et haine. Tous les ex-militants de l'OS et du PPA qui étaient en ville furent froidement assassinés même s'ils n'avaient pas pris part à l'offensive. L'occupant savait ce qu'il voulait : malades, vieux, ils passeront tous tels Laâla Cherif et Saouli Bachir, deux colistiers sur la liste du MTLD lors des élections de 1947. Entretien réalisé par Mourad KEZZAR