Le président Tebboune tente de se donner l'image d'un homme du peuple décidé à satisfaire toutes les revendications du hirak. Pour le moment, les Algériens ne semblent pas disposés à lui donner un chèque en blanc. Message fort au hirak qui rythme la vie nationale depuis dix mois ou concession de pure forme dans le simple but de faire illusion ? À peine intronisé nouveau président de la République, lors de la cérémonie d'investiture jeudi 19 décembre au Palais des nations, Abdelmadjid Tebboune a pris deux décisions d'apparence anodines mais qui, dans le contexte actuel que vit le pays, paraissent d'importance : la non-reconduction du très contesté Premier ministre Noureddine Bedoui et son remplacement illico presto par un intérimaire, ainsi que le limogeage du ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire, Salah Eddine Dahmoune. Début décembre 2019, celui-ci a tenu des propos insultants envers des Algériens qui manifestent chaque vendredi en les traitant de "pseudo-Algériens", de "traîtres", de "mercenaires", de "pervers" et d'"homosexuels" qui "véhiculent les idées restantes du colonialisme", provoquant un concert d'indignation. Aussi, son limogeage a tout d'une fleur faite au hirak, d'autant plus que le désormais ex-ministre de l'Intérieur est le seul membre de l'équipe gouvernementale à être sacrifié pour l'heure. Certes, renvoyer un ministre d'un gouvernement contesté et, de surcroît, dans un système hyperprésidentiel comme le nôtre n'a rien d'une prouesse, mais la portée de cette décision est dans le message qu'elle charrie : le président a renvoyé un ministre ayant insulté les manifestants, il est donc avec le hirak... Et c'est le même message qu'a voulu lancer le tout nouveau président aux Algériens en renvoyant l'ancien ministre de l'Intérieur sous Bouteflika à qui l'on a collé le sobriquet peu glorieux d'"architecte des fraudes électorales". Car ni la loi ni les usages n'obligeaient le nouveau chef de l'Etat à se séparer aussi vite de Noureddine Bedoui, puisque toute son équipe ou presque est restée en place. Il aurait pu le maintenir, lui aussi, comme intérimaire le temps qu'il désigne son propre Premier ministre, comme c'était le cas en 1999 quand Bouteflika avait laissé le défunt Smaïl Hamdani au poste de chef de gouvernement pendant huit mois avant de le remplacer par Ahmed Benbitour. À l'évidence, le président Tebboune a voulu "se débarrasser" au plus vite de l'encombrant Noureddine Bedoui qui, sa démission à peine remise, s'est vu désigner la porte de sortie… par deux fois. L'image était saisissante. Le geste trahit, peut-être, une possible friction entre les deux hommes, mais la médiatisation de la scène est loin d'être fortuite. Elle est porteuse d'un message sibyllin destiné à l'opinion publique : le président se débarrasse d'un homme dont les Algériens réclamaient la tête. Aussi, avec le départ du Premier ministre Bedoui conjugué à celui du chef de l'Etat Abdelkader Bensalah, ce sont les deux derniers B du bouteflikisme qui viennent de quitter la scène, comme revendiqué par le hirak depuis plusieurs mois. En plus de ces gestes quelque peu symboliques, le nouveau président a promis dans son discours d'investiture d'aller vers "une nouvelle république" et "un changement radical" comme réclamé par les Algériens depuis dix mois. "L'Etat sera à l'écoute du peuple pour un changement radical de la gouvernance et asseoir la démocratie, l'Etat de droit et le respect des droits de l'Homme", a-t-il juré. À l'évidence, le président Tebboune veut renvoyer l'image d'un homme du peuple qui satisfera toutes les revendications du hirak, en concédant des gestes symboliques par-ci et en faisant des promesses fermes de changement par-là. Pour le moment, les Algériens continuent de sortir dans la rue et ne semblent pas disposés à lui donner un chèque en blanc.