Poursuite des arrestations et de l'emprisonnement des opposants à un rythme effréné et pour les mêmes chefs d'inculpation qu'avant l'élection présidentielle, restrictions des libertés de manifester et de circuler dans le pays, black-out médiatique sur les manifestations du hirak…, le changement promis n'est, visiblement, pas pour demain. Jeudi, lors de la cérémonie de son investiture à la plus haute fonction dans la hiérarchie de l'Etat, Abdelmadjid Tebboune s'est présenté sous le profil d'un homme fédérateur et rassembleur. Il a incité le peuple à "tourner la page des différences (…) et à marcher la main dans la main pour bâtir une nouvelle Algérie", précisant qu'aucun "citoyen n'est supérieur à un autre". Il s'est fermement à garantir "le respect des droits de l'Homme, la liberté de manifester et de s'exprimer", ainsi que l'indépendance des médias. Dans l'absolu, le discours du chef de l'Etat définit les contours de la deuxième République pour laquelle des millions d'Algériens se battent depuis dix mois. Dans les faits, la réalité est loin de ressembler à ce tableau parfait. Au moment où le président de la République prêtait serment sur le Coran de servir son peuple et de ne point dévier des principes fondamentaux de la démocratie, de la justice et de la bonne gouvernance, Mohamed Tadjadit, un poète à la fleur de l'âge, est condamné, par le tribunal de Sidi M'hamed, à 18 mois de prison ferme. Son crime : avoir publié sur les réseaux sociaux des posts contre le régime. Presque simultanément, une étudiante en sciences humaines et sociales, Nour El-Houda Oggadi, accusée d'atteinte à l'unité nationale, d'atteinte à corps constitués et d'atteinte au moral des troupes, est placée en mandat de dépôt par le juge d'instruction près le tribunal de Tlemcen. Vendredi matin, le trublion acteur, Abdelkader Djeriou, est arrêté à l'entrée d'Oran et placé en garde à vue. Il sera présenté, aujourd'hui, devant le procureur de la République près le tribunal de Tlélat. Il serait accusé d'incitation à attroupement non armé, selon des sources concordantes. Son véritable tort est de s'être positionné sans équivoque et publiquement en faveur du hirak. En clair, des centaines de citoyens connus ou anonymes sont sous contrôle judiciaire. Des dizaines d'autres croupissent dans des centres pénitentiaires. Il était attendu que le chef de l'Etat consente un geste d'apaisement envers le mouvement citoyen, en ordonnant la libération sans condition des détenus d'opinion. Rien n'a changé, non plus, en matière de restrictions des libertés de manifester et de circuler dans le pays, pourtant consacrées par la Constitution et défendues par le pensionnaire du Palais d'El-Mouradia, le jour de son investiture. Dans au moins trois villes, Tiaret, Sidi-Bel Abbès et Chlef, selon les échos, les marches du vendredi ont été empêchées par les forces de la Sûreté nationale qui ont procédé à des interpellations parmi les manifestants. À l'instar d'Alger, Oran a été ceinturée par un dispositif de sécurité musclé de manière à interdire ses accès aux Algériens n'habitant pas la ville, qui voulaient marcher aux côtés de leurs compatriotes réprimés violemment le week-end dernier. Les médias publics ainsi que les chaînes de télévision offshore et une majorité de titres de la presse écrite continuent à servir de relais exclusif aux discours officiels et aux activités des représentants de l'Etat. Les actes du hirak sont occultés et le débat contradictoire interdit de cité. Que vaut l'offre du dialogue d'Abdelmadjid Tebboune devant ces innombrables portes fermées au mouvement citoyen ?