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Guerre au sida… sur la plage aussi
Des bénévoles d'Algérie Aids ont sillonné la côte de Béjaïa
Publié dans Liberté le 22 - 08 - 2005

Ils sont dix, tous bénévoles. Ils s'appellent Adel, Athmane, Zohira, Nawel, Kahina, Dalila, Rédha, Mohamed, Moncef et Saïd. Ils sont médecin, psychologue, éducateur, commerçant, enseignant ou étudiant. Ils sont venus de différentes régions du pays. Ils ont sillonné les plages des côtes est et ouest de Béjaïa du 7 au 15 août. Leur mission : faire la guerre au sida.
ls sont sur la plage, mais ils ne sont pas en vacances. Même si la canicule les pousse inévitablement à faire trempette de temps à autre. Lorsqu'ils peuvent enfin se payer un petit répit. Ce qui leur arrive rarement. C'est qu'ils sont en campagne, autant dire en guerre, contre un redoutable ennemi : le sida.
Ils sont tous adhérents de l'association Algérie Aids. Mais Zohira et Nawel se distinguent de leurs coéquipiers : respectivement présidente et vice-présidente de l'association El-Hayat ; elles vivent toutes les deux avec le VIH (virus de l'immunodéficience humaine). Dit plus crûment, elles sont atteintes du sida. Adel Zeddam, psychologue, est le responsable de la mission, en sa qualité de président de l'association Algérie Aids, une organisation non gouvernementale. “Nous nous sommes rendus compte que la période estivale constituait un temps mort, une sorte de saison blanche, dans le travail d'information et de sensibilisation que nous faisons. Le danger "sida" est trop grand pour qu'on se contente de simples conférences dans les établissements à caractère éducatif, durant la seule année scolaire”, dit-il. D'où leur présence ici, dans ce lieu de villégiature par excellence, qu'ils ont choisi, quant à eux, en fins stratèges, comme un idéal “terrain des opérations” pour se battre contre “le mal du siècle”. Mais pourquoi ladite association a-t-elle jeté son dévolu, cette année, sur la ville des Hammadites ? “Béjaïa est une grande destination en été.” Adel a raison. Les routes bougiotes connaissent ces jours-ci une affluence record. Les véhicules qui les sillonnent sont immatriculés quasiment dans toutes les wilayas du pays. Autre indice : au jeudi 11 août, pas moins de 27 000 émigrés ont transité par l'aéroport Soummam Abane Ramdane, arrivées et départs confondus, selon un bilan diffusé sur les ondes de radio Soumam.
Pour Algérie Aids, le travail de sensibilisation remonte à 1996. Sauf que jusqu'à 2000, il ne touchait que les populations scolaires et universitaires.
Ces séropositifs qui s'ignorent, combien sont-ils ?
Depuis cinq ans, pas de relâche, la campagne est permanente. C'est la guerre à plein temps contre le sida.
La communication de proximité est l'arme essentielle de ces bénévoles. Ils en usent sur leurs lieux de travail, dans leurs quartiers et partout ailleurs. Souvent avec succès.
Et aussi des surprises. De mauvaises surprises. À Tamanrasset, il y a quelques mois, lors d'une campagne conjointe des deux associations, une adhérente d'El-Hayat s'est rendue seule dans une maison close et a réussi à convaincre 27 femmes à faire un dépistage. C'est un succès. Mais il y a le revers de la médaille : sur les 27 femmes dépistées, 9 se sont révélées atteintes du méchant virus. Cela fait un tiers ! C'est énorme. Et lorsqu'on sait qu'une des 9 avait chaque jour 5 à 6 rapports sexuels non protégés, on devine l'étendue de la catastrophe. Et l'on ne peut que s'interroger sur le nombre de séropositifs qui s'ignorent.
Ce mardi 9 août, Béjaïa suffoque. Pas moins de six feux de forêt se sont déclarés sur le territoire de la wilaya. La longue plage de Souk El Tenine est bondée. Plutôt de parasols, de chaises longues, de guitares et de serviettes. Les estivants, eux, sont tous dans l'eau. Ils n'en sortent, pour un retour éclair sur le sable brûlant, que pour une gorgée d'eau ou une cigarette.
Quelquefois, pour s'assurer que le bébé dort bien à l'ombre. Ce n'est pas facile, dans ces conditions, de distribuer des préservatifs ou des dépliants. Quant à engager des discussions autour des modes de transmissions du VIH ou des moyens de se prémunir contre la maladie, il vaut mieux ne pas y penser.
Du moins pour l'instant.
À 14 heures, Adel et son groupe chôment. Ou presque. Assis autour de leur table dressée à l'entrée de la plage, près de leur véhicule et chargée d'affiches et de prospectus, ils attendent de repérer une personne ou un groupe de jeunes, bravant la chaleur et l'air chargé d'humidité. En vain. Ils sont pourtant visibles de loin et facilement repérables grâce à leur fourgon qui porte une affiche géante et à leurs casquettes et tee-shirts d'un blanc immaculé, frappés du logo rouge écarlate de l'association et de son slogan “Pour une vie sans sida”. Des jeunes affluent encore à la plage, certes, mais ils sont si pressés de plonger que c'est en courant presque qu'ils vont à l'eau. Il est rare que l'un d'entre eux, poussé par la curiosité, résiste au harcèlement de la chaleur et de l'humidité et daigne s'approcher de la table d'Algérie Aids. Juste le temps de saisir les documents et les préservatifs qu'on lui tend et, sans même y jeter un coup d'œil ni poser la moindre question, il s'en va pour une baignade réparatrice. “Heureusement qu'on a bien travaillé durant la matinée”, lance Moncef, enseignant. “Nous devrions reprendre ce soir...”, rétorque Saïd, un étudiant de Tizi Ouzou. L'anxiété se lit sur les visages. C'est la crainte de ne pas atteindre l'objectif de 10 000 personnes à toucher au 15 août dernier. Cela fait plus de 1 000 personnes par jour et, à ce rythme, un ratage n'est pas à exclure.
Qu'à cela ne tienne, Adel va vite trouver la parade à ce contretemps : il met à profit la présence d'un journaliste, toujours bonne à prendre lorsqu'on mène un travail d'information et de sensibilisation, pour faire connaître Aids Algérie, ses activités, ses ambitions, ses contraintes et surtout les progrès réalisés depuis la première campagne estivale, en 2001 à Boumerdès. Depuis, il y eut celles de Tlemcen (2002), de Aïn Témouchent (2003) et d'Oran, l'année dernière. “Beaucoup de choses ont changé”, estime le président de l'association, qui a été de toutes les campagnes. “Avec les jeunes, il y a du répondant”, dit-il. “Ce matin, sur l'autre plage de Souk El Tenine, certains d'entre eux se sont portés volontaires pour la distribution de préservatifs”, raconte-t-il. Mais, il reconnaît qu'il reste beaucoup à faire. “Souvent, les jeunes croient connaître le sida et les modes de sa transmission d'une personne à une autre, mais au bout d'une courte discussion, on se rend compte qu'ils ignorent quelquefois jusqu'aux éléments-clés de la maladie”, explique-t-il. Il cite l'exemple de ces nombreux jeunes qui pensent qu'on peut contracter le virus par une simple poignée de main avec une personne atteinte. “Certains ont de la peine à nous croire lorsque nous leur disons que cela est faux, et il m'est arrivé de prendre le bras nu de Zohira ou la main de Nawel pour les convaincre”. Les raisons d'une telle méconnaissance de la maladie, M. Zeddam les explique d'un trait : “Les contraintes socioculturelles influent beaucoup sur le désir de savoir chez les gens.”
Le dépistage, ce “maillon faible”, ces contraintes, ce sont autant d'entraves à la lutte contre la propagation du virus, notamment à cause du “manque d'empressement des gens à se faire dépister”. La petite expérience de Tamanrasset, presque fortuite, montre que les séropositifs sont sûrement plus nombreux que ceux recensés jusqu'ici.
Voilà pourquoi Adel estime que la pratique du dépistage reste pour le moment “le maillon faible” de la lutte contre le sida en Algérie.
D'où son souhait de doter Algérie Aids de centres de dépistage, un souhait partagé par Zohira de l'association El-Hayat, mais qui risque de ne pas être exaucé de sitôt. “L'idéal serait que ces centres appartiennent aux deux associations, mais le ministère de la Santé ne nous aide pas, c'est nous qui l'aidons… et vous pouvez l'écrire”, dit Adel. “Ecrivez aussi que nous utilisons nos relations pour avoir des préservatifs. Et qu'il n' y pas de chapitre spécialement consacré aux préservatifs dans le plan de lutte contre le sida du ministère. Et que les préservatifs sont souvent détournés du quota réservé en principe à la planification familiale”, ajoute-t-il.
La journée tire à sa fin. Désormais, presque plus personne n'arrive à la plage. C'est plutôt l'heure des départs. Mais pas pour les bénévoles d'Algérie Aids et d'El-Hayat. Ils seront les derniers à s'en aller. À l'hôtel Les Hammadites, où ils ont élu domicile pour la circonstance, ils aborderont, préservatifs, dépliants et prospectus en main, des dizaines de personnes, prêts à répondre à toutes leurs questions et à démystifier tant de préjugés.
Mercredi 10 août, les dix militants “éradicateurs” du VIH sont à Tichy, une petite cité balnéaire à l'est de la ville de Béjaïa. Il n'est pas aisé de les rejoindre à partir de cette dernière. Tout au long de la côte est, la circulation est très dense. À hauteur du village touristique Capritour, et jusqu'au centre de Tichy, elle devient quasiment impossible. Trois files de voitures se disputent l'espace d'une seule voie. Pour ceux qui vont plus loin à l'est, une autre épreuve les attend à l'entrée d'Aokas. Il y a là, chaque jour, un embouteillage inextricable, précisément à l'endroit où il y eut un éboulement l'hiver dernier, là où les gens s'entassent dans une queue interminable à l'entrée de “La grotte merveilleuse”, objet de leur curiosité. On se rappelle que cet éboulement s'était traduit par la fermeture pure et simple de la route pendant plusieurs jours. Suite à quoi, les services d'entretien des routes avaient dû rétrécir la chaussée. “Une solution à la hâte”, disent certains. “Une solution de facilité”, estiment d'autres.
Sur la plage… et en ville aussi
Il fait légèrement moins chaud que la veille mais l'air est toujours aussi humide. “Les incendies de forêts ont été maîtrisés pour certains, ou en voie de l'être pour les autres”, annonce Radio Soumam. La nouvelle est plutôt bonne. Mais l'équipe d'Algérie Aids semble avoir retenu la leçon de Souk El Tenine.
À Tichy, la campagne ne se déroulera pas seulement sur la plage. Elle sera menée en ville aussi. Et elle ne ciblera pas exclusivement les estivants et les vacanciers. Elle concernera également le personnel de la polyclinique locale, de la police et les autorités locales.
Il est 13 heures. Athmane et Réda ont déjà placardé des dizaines d'affiches sur les murs de la ville. Ils en ont distribué autant aux commerçants, notamment aux pharmaciens. Sur la plage, leurs coéquipiers sont loin de l'angoisse qui les tenaillait la veille. Mohamed, un étudiant de Tlemcen, et Zohira sont les seuls à s'asseoir à leur table, dressée comme d'habitude à l'entrée de la plage. Adel, le chef de la mission, est absent. Un petit bobo d'estomac l'a contraint à faire relâche pour se rendre à Béjaïa pour une consultation. Mais le groupe ne chôme pas pour autant. Saïd, Nawel, Kahina, Dalila et Moncef, armés de paquets de prospectus, ratissent la plage, allant de parasol en parasol, abordant les familles, les jeunes, les hommes et les femmes.
Saïd est en grande discussion avec quatre adolescents imberbes. Lamine et Nabil ont 16 ans. Ils sont collégiens, respectivement à Alger et à Béjaïa. Nassim, 17 ans, et Sofiane, 15 ans, sont lycéen et collégien à Tichy. Tous les quatre affirment savoir “des choses sur le sida”. Saïd les met à l'épreuve. “Que savez-vous sur cette maladie ?”, leur demande-t-il. “Elle se transmet lors de rapports sexuels non légitimes”, répond Lamine. “Il faut donc éviter ce genre de rapports”, renchérit Sofiane. “Il faut avoir une seule partenaire”, ajoute Nabil. “Vous avez raison, mais vous devez savoir que l'infidélité existe et que, quelquefois, la fidélité est difficile, voire impossible”, leur dit Saïd qui se lance alors dans un plaidoyer pour l'utilisation du préservatif. Puis il leur apprend, dépliant à l'appui, que la maladie se transmet aussi par d'autres voies : l'allaitement, la grossesse, les instruments tranchants ou perçants souillés de sang et non stérilisés, à l'exemple du rasoir, des ciseaux ou de la seringue. “Rappelez-vous surtout que la maladie se transmet par le sang, le sperme et les secrétions vaginales”, résume Saïd. “Sachez aussi que pour chacun de ces modes de transmission, il y a un moyen de se protéger”, dit-il encore. “Comment ?” demande Nabil. Saïd ouvre de nouveau son dépliant et énumère les précautions essentielles : “Restez fidèle à votre partenaire, utilisez les préservatifs lors des relations sexuelles, utilisez des instruments tranchants ou perçants stérilisés ou à usage unique.” Mais comment savoir si ces jeunes adolescents, dont certains ne sont même pas en âge de se raser la barbe, sont réellement exposés aux risques du VIH ? Dans quelle mesure la menace pèserait-t-elle sur eux ? Il faut les interroger pour savoir. “Avez-vous déjà eu des rapports sexuels ?” La question ne les gêne nullement, et c'est en chœur qu'ils répondent : “Oui !” Faut-il croire ce oui massif et spontané ? N'essaient-ils pas de paraître plutôt hommes virils qu'adolescents inexpérimentés, voire sots ? Allez savoir !
Le manège de papa et maman
Saïd se lève et s'en va à la recherche d'autres cibles à instruire. Nawel, la vice-présidente d'El-Hayat, est déjà à l'œuvre, quant à elle. Elle a jeté son dévolu sur une jeune fille. C'est ainsi, la nature du sujet et les tabous qu'il charrie font qu'il est préférable d'être une femme pour en parler à une autre femme. La jeune fille s'appelle Chahinez, elle vient de Biskra et elle est très jolie. Très bronzée aussi. Elle a tout juste 20 ans et elle vient de rater son bac. Pour le moment, elle est seule sous son parasol. Mais, la chaise longue et les deux serviettes étalées à côtés d'elle indiquent qu'elle est “accompagnée”, comme on dit. Nawel l'interroge sur ses connaissances sur le sida. “C'est une maladie contagieuse”, répond Chahinez. La vice-présidente d'El-Hayat corrige : “Elle est transmissible et non contagieuse.” Elle explique : “Elle n'est pas contagieuse, puisque tu peux nager dans les mêmes eaux avec une personne atteinte, utiliser avec elle la même salle de bains sans le moindre risque.” Chahinez admet ses carences. “Je ne le savais pas”, dit-elle. Un homme, la cinquantaine, sort de l'eau et s'approche. “C'est papa”, dit la jeune fille. Le papa nous salue et, ayant déjà saisi l'objet des palabres grâce au tee-shirt de Nawel, s'en retourne à sa baignade, rassuré. La maman, quant à elle, ne tarde pas à sortir de l'eau, à son tour. Elle s'installe sur la chaise longue et fait celle qui n'est pas concernée. Le manège a manifestement un sens : le papa, sentant que sa présence serait un obstacle, s'est éloigné pour ne pas gêner la sensibilisation de sa fille et la maman, un peu méfiante tout de même, a rappliqué pour veiller au grain. Pour faire en sorte qu'on ne déborde pas du sujet. Il est vrai que Chahinez est une belle jeune fille. Mohamed, l'étudiant de Tlemcen, vient de quitter un groupe d'estivants. “Les gens sont quelquefois réfractaires, mais ils sont rarement hostiles à notre action”, dit-il en réponse à une question sur l'accueil qui leur est réservé par les estivants. “Par contre, il est très difficile de trouver des homosexuels, et on sait qu'il doit y en avoir dans les parages”, regrette-t-il. “C'est déjà assez difficile de parler du sida avec les hétérosexuels…”, avait averti Adel. Il est 16 heures et les dix bénévoles ont déjà “fait le plein”. Ils se sont adressés quasiment à tous les occupants de la plage. Du moins à ceux qui étaient disposés à les écouter.
Virée chez les prostituées
Saïd, Nawel et Moncef s'éloignent un peu des parasols et engagent une discussion à voix basse. On devine qu'ils échafaudent un plan. Que veulent-ils donc faire qui nécessite autant de discrétion ? Ils ne tarderont pas à dévoiler leur projet. “On prépare une virée dans un site de prostitution”, révèle Moncef. Le site en question, c'est un cabaret-hôtel. Appelons-le Le Rebaca, même si son nom est tout autre. On peut y accéder directement à partir de la plage. Au bas de l'escalier qui y mène, et qui va jusqu'à l'étage des chambres, une femme est là, comme pour faire le guet. “Vas-y, Nawel, parle-lui”, suggère Moncef. Nawel hésite. Elle passe devant la femme sans lui adresser mot. Il va falloir gagner l'intérieur du Rebaca en passant par la réception. Et expliquer au réceptionniste l'objet de la visite.
Lui dire surtout qu'il s'agit d'une simple campagne d'explication que mène une organisation non gouvernementale. Moncef s'en charge bien et c'est sans grand encombre que lui et ses camarades se retrouvent, quelques instants après, sur la terrasse du Rebaca. Les clients sont peu nombreux, à cette heure de la journée. La grande affluence, c'est pour le soir.
Pour le moment, ils ne sont que trois ou quatre à siroter une bière. Les femmes, elles, sont une dizaine à jouer aux serveuses. Surprise : Nawel est ses camarades n'ont pas besoin de les aborder. Elles accourent spontanément et s'installent autour des bénévoles. Sans en demander la permission. Elles déclinent facilement leurs prénoms. De faux prénoms, peut-être : Radia, Karima, Houaria, Rania, Nawel, Sonia, Sabrina. Elles viennent d'Oran, de Biskra, de Tiaret, de Sidi Bel Abbès, de Blida, de Souk Ahras et de Mascara. Sur l'épaule nue de Radia, un tatouage de quatre lettres : “Riad”. Un prénom d'homme, témoin d'un amour défait, vestige d'un rêve qui n'est plus. Les fausses serveuses ne sont pas très bavardes. Elles se savent épiées par les videurs du cabaret. Moncef, qui a décelé une “petite tension” chez le personnel de l'établissement, me fait signe de ranger mon calepin et mon stylo. C'est plus rassurant pour tout le monde. Peu après, les femmes se laissent aller. Sabrina raconte quelques bribes de sa vie. Elle était mariée, mais elle a divorcé. Pourquoi et comment a-t-elle atterri ici ? “Allah Ghaleb”, répond-elle. Saïd et Nawel sont en pleins palabres avec Rania et Sonia. Peu à peu, Rania se met à son langage habituel. La vulgarité du propos irrite Saïd qui le lui fait savoir. Bon gré mal gré, le trio d'Algérie Aids a pu transmettre son message. Il semble avoir convaincu ses cibles de l'importance du dépistage. La séance s'achève par une distribution de préservatifs. Les videurs invitent les bénévoles et le journaliste à débarrasser le plancher. Les femmes sont aux anges. “Cela me fait presque le salaire du mois”, dit Rania. On l'aura compris : ici, les préservatifs sont aux frais du client.
“C'est nous qui aidons le ministère de la Santé.” Nawel, Saïd et Moncef sont contents de leur coup. C'est avec une fierté à peine dissimulée qu'ils racontent leur aventure à leurs camarades restés sur la plage. Il est 17 heures. Adel qui venait d'arriver de Béjaïa s'en est remis de son bobo. Mais il devra revoir son médecin à Alger. Pour l'heure, il partage la joie de ses coéquipiers qui ont bien travaillé. Athmane et Réda, eux aussi, sont revenus de la ville de Tichy. Ils rendent compte de leur campagne.
Les responsables locaux, qui ont remplacé les élus relevés depuis peu, ont été “très sensibles à notre action”, rapporte Athmane. Ils reconnaissent que “la prostitution pose un problème”, mais “ils refusent que la région soit stigmatisée”. Adel se souvient qu'on lui avait tenu les mêmes propos à Tamanrasset. “C'est que le phénomène de la prostitution existe dans toutes les régions du pays”, explique-t-il. “Au commissariat de police aussi, on a trouvé la même sensibilité à notre campagne”, reprend Réda. À la polyclinique locale, ils ont remis 10 cartons de préservatifs, soit 1 440 unités. Réda exhibe la décharge qui en atteste. “Je vous disais bien que c'est nous qui aidons le ministère de la Santé”, commente Adel. Le président d'Algérie Aids se lance alors dans l'énumération des contraintes qui ne sont pas sans effet sur la prise de conscience quant aux dangers du sida. “Le ministère de l'Education, par exemple, aurait pu être d'un grand apport, mais il reste fermé à toute initiative extérieure”, regrette-t-il. “Je vous surprendrais peut-être, mais sachez que le ministère des Affaires religieuses s'implique beaucoup plus”, ajoute-t-il. C'est ainsi qu'un CD intitulé “L'Islam et le VIH”, des prospectus et un guide destiné aux imams sont actuellement en préparation au niveau de ce ministère, fait-il savoir. Il souhaite que l'engagement politique des autorités ait “un prolongement concret”. Notamment par “la promotion du dépistage en nous permettant de créer nos propres centres, par la disponibilité des préservatifs à des prix étudiés, la disponibilité des médicaments pour les malades et par un renforcement de la coordination multisectorielle et entre les institutions gouvernementales et les ONG”.
Adel regrette, enfin, que les médias ne participent pas pleinement à la lutte contre le sida. “Nous avons invité pas moins de 40 médias à couvrir cette campagne, vous êtes le seul journaliste à venir d'Alger”, dit-il. 19 heures. Les dix bénévoles sont tous là. Demain, ils seront à Saket, sur la côte ouest de Béjaïa. La plage est encore surpeuplée, mais ils doivent lever le camp. Mais pas le pied. Car, la lutte continue.
S. C.


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