Ce matin, les avocats occupent de nouveau le devant de la scène, à l'occasion d'une journée de protestation devant les tribunaux, accompagnée d'un boycott des audiences. Cette fois-ci pour protester contre les taxes et impôts introduits dans la loi de finances 2020, dont l'entrée en vigueur durant l'année en cours, provoquera, selon Me Salah Brahimi, l'asphyxie de la profession. Liberté : Vous avez décidé de boycotter les audiences aujourd'hui. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette protestation ? Me Salah Brahimi : Ce matin, les avocats des différentes régions du pays boycotteront les audiences et organiseront des sit-in devant les tribunaux pour protester contre le système de taxes et d'impôts imposé aux professions libérales par la loi de finances 2020, qui est injuste et injustifié. De 2015 à 2019, la profession était soumise à un impôt forfaitaire de 12% sur le chiffre d'affaires dont elle s'acquittait en tant que contribuable. Entre 2018 et 2019, nous avons eu des réunions avec les responsables de la direction générale des impôts durant lesquelles, nous avons proposé un système qui existe dans plusieurs pays du monde. En l'occurrence, la retenue à la source qui n'est peut-être pas avantageuse, mais plus équitable. Parce que ce système permet le paiement du même impôt par tous les avocats à travers le territoire national. C'est une redevance que nous allons payer à l'avance et qui n'expose pas l'avocat à la déclaration et au contrôle. En contrepartie, l'Etat recouvre 100% des impôts sans possibilité de fraude fiscale, cet impôt étant payé à l'avance. Malheureusement, ces concertations n'ont abouti à rien. Pis encore, le ministère des Finances a procédé à un changement radical du système d'impôt appliqué à la profession d'avocat en imposant un retour à la TVA de 19%, plus en vigueur depuis longtemps, à laquelle on a ajouté 2% de taxes sur l'activité professionnelle, 26% de l'IRG et 15% de cotisations versées à la Casnos. Cela fait un total de 62% sur les recettes et bénéfices, alors que la profession traverse une période très difficile. Il y a des jeunes avocats qui n'arrivent même pas à payer le loyer et les frais d'électricité et de gaz. Avec les nouvelles impositions, ils seront obligés de déposer le bilan. Quelles sont les actions qui suivront ? La journée de contestation d'aujourd'hui sera la première étape. Nous allons attendre la réponse du ministère des Finances. Si elle n'est pas favorable, d'autres actions seront menées, d'autant que le mois de février coïncide avec la tenue des assemblées générales des différents barreaux du pays qui proposeront des démarches à entreprendre, et ce, en concertation avec la base. Comment évaluez-vous la situation des droits de la défense ? Le respect des droits de la défense dépend du fonctionnement général de la justice. Vu le déroulement des audiences et la rapidité avec laquelle sont traités les dossiers des justiciables, nous pouvons dire que nous faisons face à une justice expéditive. D'un autre côté, nous avons le sentiment qu'à l'inverse des magistrats, nous ne faisons pas partie du ministère de la Justice. Nous sommes censés être des partenaires de la justice. Mais sur le terrain, c'est une autre réalité. La formation des magistrats est entièrement prise en charge par l'Etat qui, dans l'accomplissement de cette mission, débourse des sommes colossales. Sur ce plan, l'avocat se retrouve démuni. Les écoles prévues par la loi 13-07 du 29 octobre 2013 portant organisation de la profession d'avocat, n'ont pas encore vu le jour. L'avocat est également mis à l'écart, puisqu'il n'est pas associé à l'élaboration des lois importantes du pays. De la Constitution, à la loi régissant la profession d'avocat. Quel regard portez-vous sur le fonctionnement actuel de la justice ? Nous sommes loin du mot "justice". C'est un système judiciaire à deux vitesses qu'il faudra libérer. Il ne peut l'être que de l'intérieur : les magistrats doivent se libérer du pouvoir exécutif et des multiples interférences.