À mesure que les robes noires avancent, leurs rangs sont renforcés par les familles des détenus et de simples citoyens. Les différents barreaux du pays ont participé, jeudi, à une marche nationale qui a débuté à 11h, depuis le tribunal de Sidi M'hamed, pour parcourir le boulevard Zighoud-Youcef et revenir au point de départ. Les avocats se sont rassemblés d'abord au niveau du hall de l'enceinte judiciaire, scandant des slogans hostiles au pouvoir, en faveur de la libération des détenus d'opinion et pour le respect des droits de la défense et des justiciables. Un policier a tenté de confisquer une pancarte, mais il est vite conspué par la foule qui sort un drapeau amazigh. Et c'est sous les cris "Libérez, libérez la justice !" que les portes du tribunal s'ouvrent pour laisser passer le cortège. "À travers notre marche, nous voulons exiger la libération des détenus d'opinion qui sont pris en otage par ce système et assurer le peuple de notre soutien indéfectible. Le choix de lancer la marche depuis le tribunal de Sidi M'hamed a une symbolique. Les dossiers de 80% des détenus d'opinion y sont traités. Notre halte devant l'Assemblée nationale, c'est aussi pour exiger le retrait du projet de loi sur les hydrocarbures et l'article du projet de loi de finances 2020 relatif au régime d'impôt touchant la profession d'avocat", déclare Me Salah Brahimi, bâtonnier de Tizi Ouzou. "C'est à nous en premier lieu, en tant que défense, de dire stop aux violations des droits de l'Homme et particulièrement aux violations des procédures judiciaires qui touchent actuellement toutes les catégories de la société : moudjahidine, politiciens, activistes d'association, étudiants, femmes et élus du peuple", dénonce Me Seddik Mouhous, membre actif du collectif de défense des détenus. Sur les pancartes brandies, on peut lire également : "La défense est la voix du peuple", "Les avocats refusent la justice du téléphone", "La défense veut un Etat de droit" ou encore "Dawla madania, machi âaskaria". À mesure que les robes noires avancent, leurs rangs sont renforcés par les familles des détenus et de simples citoyens. Les forces de l'ordre, présentes en force, sont restées en retrait. "La population soutient la marche des avocats comme elle renforce chaque mardi les marches des étudiants", commente Me Sidhoum. À côté, un vieux retraité confie : "J'ai à mon actif 80 marches, je n'en rate jamais une." Quelques mètres plus loin, le bloc des marcheurs est soudainement fragmenté par l'embouteillage, mais il s'est vite reconstitué. La marche reprend alors de l'envergure en entonnant le slogan : "Djazaïr hourra démocratia." Arrivés devant l'Assemblée populaire nationale, les avocats marquent un arrêt et scandent : "Vous avez vendu le pays" et "Le peuple veut la dissolution du Parlement". Pour Me Nouredine Benissad, avocat et président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme, "l'objectif de cette marche est de réaffirmer notre refus des atteintes répétées à la présomption d'innocence et le recours excessif à la détention préventive. Il n'est pas question qu'on se taise devant les violations des droits de la défense et des droits de l'Homme en général. Notre corporation réitère également son attachement à l'indépendance de la justice et aux garanties d'un procès équitable". Me Nabila Smaïl abonde dans le même sens en réaffirmant le rejet par la corporation des avocats de "l'utilisation de la justice à des fins politiques et de règlement de comptes entre les différents clans". À noter que les audiences programmées le jour même ont toutes été reportées en l'absence de la défense.