Jouée à guichets fermés les 5, 6 et 8 février au TNA, la pièce Khatini d'Ahmed Rezzak est sans nul doute l'événement phare de la rentrée théâtrale. Elle est aussi l'illustration du marasme stagnant dans lequel s'engluent nos jeunes. Tous nos jeunes ? Non ! Car, il y a ce rebelle de "Khatini" qui décide de secouer la tour d'ivoire pour la vider de l'âge caduc qui a immobilisé les énergies et écroué nos jeunes dans la scène du naufrage du Radeau de la méduse de l'artiste peintre français Théodore Géricault (1791-1824). À ce propos, le metteur en scène y illustre ce personnage qui pourrait être le fils qui bat le pavé les mardis et vendredis pour "réussir à dévisser ces vieux du cercle de la décision". Après le tomber de rideau sous les clameurs du public qui scandait "L'istiqlal !", "Madania machi âaskaria" et "Djazaïr horra dimocratia !", Ahmed Rezzak a accordé à Liberté un entretien sur les coulisses de cette œuvre phénoménale. Liberté : Khatini est le résultat des soubresauts qui enfièvrent actuellement l'Algérie depuis le 16 février 2019, quand le citoyen s'est réapproprié la rue après une longue période de précarité sociale et d'interdits. Vous êtes-vous senti en osmose avec la réaction du public ? Ahmed Rezzak : Comment ne pas l'être ? Du fait que c'est l'odyssée d'un jeune qui, sa jeunesse durant, guerroie contre la sénilité et l'omnipotence qui ont ankylosé la sphère dirigeante de la maison Algérie qu'on a tyrannisée jusqu'à son déclin. D'où l'ardue challenge de "Khatini", qui coalise ses idées novatrices face à une caste si nostalgique de dictature pour s'être abreuvée au totalitarisme et réfutant ainsi toute alternative au renouveau. Et face à l'absolutisme, source de l'arbitraire, Khatini a fait sien l'adage populaire "H'na imout Kaci" (ici mourra Kaci) pour déboulonner ces croulants qui se sont vissés sur leur siège. C'est dire l'illogisme des idéaux en présence, car, d'une part, il y a "Khatini" qui n'a que sa Sylmiya (pacifisme) pour détrôner ces vieux qui, pour leur part, n'ont d'autres préoccupations que le souci de durer au levier de commande et d'éloigner le spectre de la mort qui les guette. Du reste, le conflictuel n'est pas en reste, étant donné qu'il y a les adeptes de l'alternance au pouvoir mais qui se heurtent au sérail et son corollaire d'intrigues de palais aux relents de corruption. Auparavant, l'envie de "Khatini" d'émigrer ailleurs n'était pas du goût de la coterie au pouvoir qui tenait coûte que coûte à l'en dissuader, au motif qu'il était l'ultime bourgeon qui restait à l'arbre Algérie, malheureusement exsangue. Il y a tout de même l'éveil de conscience du jeune "Khatini Machihoua" qui s'est rétracté d'aller sous d'autres cieux, pour s'investir en Algérie... Effectivement, le jeune "Khatini" s'est aligné sur le bon choix de sa copine Imane ! Soit l'initiative de s'unir pour rajeunir l'aspect gâteux de l'Algérie à l'aide des slogans "Yetnahaw gaâ" et de "Djibou el BRI, djibou Saâika". Mieux, et à la chute de ces adeptes du caporalisme, "Khatini" et sa compagne projettent d'irriguer l'Algérie avec le rappel du sang neuf de leurs frères harraga et d'endiguer ainsi la fuite des cerveaux. Au-delà de la protesta, il y a aussi un message… 58 ans après l'indépendance, il est temps de sonner le glas contre "l'Indjeb" ou la reproduction et la cooptation de dinosaures qui avarient la pensée intellectuelle, la création artistique et qui gèlent la liberté d'entreprendre. D'où qu'il est requis d'engager une réflexion pour bénir l'avenir et ne plus idolâtrer le passé. Ce n'est qu'à cette condition sine qua non que l'on sauvera "Khatini" puisqu'il incarne l'image de nos enfants qui périssent dans les flots de la déperdition. Quel est l'avis de l'autorité sur le sujet de la pièce ? Plutôt que de heurter, l'objectif premier est de mettre en scène un spectacle dans la discrétion et ce, jusqu'à la générale de la pièce. Au demeurant, le théâtre est d'essence révolutionnaire et Khatini n'est que l'écho des répliques de mécontentement populaire que l'on ressent dans la vie de tous les jours. Et puis, le cas de "Khatini" n'est pas l'apanage unique de l'Algérie, mais demeure dans l'actualité au Liban, à Téhéran, en Egypte et en d'autres contrées, où le ras-le-bol populaire s'en ressent. Mieux, la pièce sert d'alibi au pouvoir pour qu'il continue d'alléguer auprès de l'opinion d'ici et d'ailleurs qu'il y a de la démocratie chez nous et, pourquoi pas, se faire passer pour des démocrates. Pourquoi le choix du Théâtre régional de Mostaganem Djillali-Benabdelhalim ? C'est le fait que mon texte a recueilli l'adhésion de la commission de lecture, où, face à la réticence des uns, il y a eu l'approbation de la part d'authentiques patriotes qui restent à l'avant-garde du combat pour le progrès.