Dans la série Palettes, sur Arte, le réalisateur Alain Jaubert consacre un brillante étude au célèbre tableau Le radeau de la Méduse du peintre français Théodore Géricault. Cette œuvre extraordinaire, peinte par Géricault entre 1817 et 1818, est une étape majeure de l'art romantique. Géricault, en dépit de son jeune âge - il est né en 1791 - fait preuve dans cette toile d'une très grande maturité politique. Le radeau de la Méduse est une œuvre engagée dans laquelle l'artiste fait écho à un événement qui s'était déroulé quelques années plus tôt. En 1816, la France arme quatre puissants navires qu'elle destine à la conquête du Sénégal. Au large de la Mauritanie, la frégate La Méduse, qui fait partie de cette flotte guerrière, fait naufrage. Ses occupants, au nombre de 147, montent sur un radeau. Seuls une dizaine de ces naufragés survivront au terme d'épreuves atroces. Des actes abominables s'étaient déroulés sur le radeau où les survivants s'étaient même livrés au cannibalisme. C'est de cet événement tragique qui fit grand bruit dans la France de l'époque, que Théodore Géricault fera la matière de son grand tableau. Le peintre avait suivi ce fait divers dans ses détails les plus infimes et il y avait trouvé une forme de résonance de ses propres inquiétudes esthétiques et métaphysiques. Géricault était un surdoué, un peintre flamboyant dont la personnalité, vite affirmée, le désignait comme l'un des grands noms de son époque. Géricault avait été initié à la peinture par Carle Vernet. Pour cette raison, il croisera le chemin du fils de Carle, Horace Vernet, qui se fera connaître, lui, pour son affiliation à l'orientalisme et ses toiles à la gloire du colonialisme français en Algérie. Issu d'une riche famille de la ville de Rouen, Géricault fit très tôt preuve d'indépendance. Tant à l'égard de ses parents que des canons académiques de la peinture dans les années 1800. Attaché au courant romantique, Géricault était sans doute beaucoup plus un peintre réaliste dont les premiers travaux s'inspiraient de la vie de tous les jours. Il était empreint de cette sensibilité de la quotidienneté qui le rendait attentif aux événements qui défrayaient la chronique. Le naufrage de la Méduse constitua pour sa carrière un embrayeur qui lui permit de mettre en circulation ses idées. Sa toile est aussi un reflet de sa propre personnalité dans sa dimension mortifère outrée. Géricault était un être déchiré, maladif, un peu sulfureux par bien des aspects de son existence intime. Il avait cherché, un moment, à fuir la France. Il se fixa peu de temps en Angleterre où il tentera de renouveler son inspiration thématique. Mais le naufrage de la Méduse lui offrira l'opportunité d'établir un véritable testament artistique. Bouleversé par l'événement, mais dans le même temps en proie aux premières attaques de la maladie qui l'emportera en 1824, Géricault fait de son Radeau de la Méduse un traité de la désespérance, un inventaire de la mortification amplifié par une représentation au réalisme outré de séquences insoutenables d'agonie. Le peintre entendait dénoncer l'abandon à leur terrible sort des naufragés de la Méduse. Son tableau est d'une telle puissance émotionnelle que le spectateur peut le croire peint sur les lieux de la tragédie. En fait, Géricault s'est énormément mis dans cette œuvre. Encore très jeune, le peintre dont le santé est chancelante, est occupé par l'idée de la mort, du déclin de l'âme et du corps. Le temps lui est compté. C'est en grande partie cette conscience de la fin à laquelle il est parvenu qui habite son œuvre majeure Le radeau de la Méduse. Géricault, avec ce tableau, a influencé des générations de peintres qui ont introduit après lui le lien fort entre l'art et le réalisme dans leurs travaux. A la fin de sa vie, Géricault concentrera sa quête artistique sur le monde équestre et le cheval sera au cœur de son art. Le peintre s'éloignait ainsi du climat vénéneux que son œuvre autant que sa personnalité avaient suscité : Le radeau de la Méduse avait entraîné des batailles sans merci dont Géricault était la cible invariable. Ce recul ne préservera pas le peintre des atteintes de la maladie. Il meurt le 26 janvier 1824 à l'âge de 33 ans. Son célèbre tableau le situe, d'entrée, comme le précurseur d'un art qui pour donner la mesure du réel n'en est pas moins appuyé par une inébranlable exigence. Et c'est en cela que le peintre a pu faire école.