Outre les terroristes qui vont profiter systématiquement de la grande mansuétude de l'Etat, la charte sur la paix et la réconciliation nationale prend en charge tous ceux qu'elle considère comme “victimes de la tragédie nationale”, c'est-à-dire les citoyens ayant constitué des cibles directes de la violence intégriste et leurs ayants droit, les familles des disparus et aussi celles des terroristes. L'opinion publique sait ce que va obtenir cette frange de la population frappée de plein fouet par les affres de la décennie rouge. Il n'en demeure pas moins que nul n'est en mesure, jusqu'alors, de dire combien seront-ils. “Nous sommes en train de travailler sur les statistiques”, informe M. Bouchenak. Les enquêteurs de son département s'attellent d'ores et déjà à recenser ces familles, en commençant par les wilayas les plus touchées par les exactions des terroristes (Jijel, Relizane, Blida, Aïn Defla…). La tâche semble être plus aisée concernant les terroristes eux-mêmes. Selon Nourredine Fekaïr et Mohammed Boudiar, le ministère de la Justice détient des listes détaillées sur les personnes compromises dans des attentats. Elles sont répertoriées en trois catégories : celles condamnées définitivement, y compris par contumace ; celles recherchées et celles faisant l'objet de poursuites judiciaires. “C'est grâce à ces listes que les autorités compétentes détermineront qui bénéficiera de quelle mesure de clémence contenue dans la charte”, affirme M. Boudiar. Le département de Tayeb Belaïz refuse évidemment de communiquer la moindre information à ce propos. Des chiffres sont donnés çà et là, aussi bien par les hauts cadres de l'Etat que par les personnalités nationales impliquées dans la gestion de la crise sécuritaire. Selon Me Ksentini, environ 500 000 Algériens ont participé à des actes terroristes, soit activement, soit en servant de relais ou de soutien. Le président de la République a affirmé, à maintes reprises, que 150 000 citoyens ont été tués par les groupes armés. Il a soutenu également que 6 000 armes (comprendre autant de repentis) sur 12 000 ont été récupérées grâce aux dispositions de la loi portant rétablissement de la concorde civile. Il semblerait qu'un millier d'irréductibles restent au maquis, tandis que des centaines d'autres observent une trêve tactique. La Commission nationale consultative pour la promotion des droits de l'Homme a recensé 6 146 cas de disparitions inexpliquées. S. H.