Le voile obscurcissant et bigot de l'inquisition est tombé sur Sidi Bel-abbès. Une poignée de commissaires politiques, réunis en association de parents d'élèves, a décidé d'interdire le fameux Contes des Mille et une Nuits dans la capitale du Tessala. Et puisqu'ils ont la bénédiction complaisante du ministère de… l'Education, pourquoi devraient-ils s'arrêter en si bon chemin ? Voilà donc les récits légendaires de Shéherazade, qui ont mis des siècles à se constituer, balayés d'une main des bibliothèques et librairies par la volonté de roturiers incultes. Ces censeurs “associés” viennent d'illustrer leur dangereuse ignorance en sévissant dans une ville qui compte l'une des meilleures librairies et l'un des plus beaux théâtres du pays. “Les Contes sont néfastes aux enfants”, a déclaré… le gardien de la bibliothèque de Sidi Bel-Abbès à notre correspondant. Eh, oui ! Pourquoi pas lui, “en ces temps où les fous guident les aveugles”, comme s'en désolait le héros de Shakespeare ? Cette œuvre millénaire, qui a marqué toutes les cultures de tous les temps, est condamnée à l'autodafé par l'arbitraire de quelques “militants” obscurantistes, avec la bénédiction de responsables d'Etat qui concèdent sur l'intérêt de générations d'enfants quand il s'agit de racoler des voix. Ce livre immense qui a influencé Voltaire (Zadig) et Sir Richard Burton, qui est à l'origine des chefs-d'œuvre cinématographiques de Pasolini, interdits parce que des gens qui, probablement ne connaissent de l'érotisme que le crasseux, s'offusquent de l'évocation fictive et littéraire de la putain. Peut-on imaginer une génération d'êtres humains ignorant les légendes de la lampe d'Aladin, des voyages de Sindbad le marin ou de Ali Baba et les quarante voleurs ? (Les voleurs de la fable, j'entends les autres, ceux qui sévissent contre les budgets de l'Etat, nos enfants en souffrent tant malheureusement). Une œuvre d'une telle portée interdite avec une telle facilité de l'espace culturel — ou ce qu'il en reste — de toute une ville et bientôt de tout un pays, si l'expérience-pilote — comme disent nos bureaucrates professionnels de la navigation à vue — est concluante ! On comprend mieux la source d'inspiration du ministre de l'Education qui vient de contrarier une réforme qu'il a lui-même contribué à concevoir ? Est-ce ainsi qu'on sert son pays, en privant ses enfants de ce qu'il y a de plus beau et de plus formateur dans le patrimoine universel, pour quelques misérables voix d'obscurantistes ? Est-ce qu'un pouvoir se conserve en cédant devant la régression conquérante, privant les citoyens, chaque jour, d'un peu plus de lumière ? Il y a plus que de l'urgence à réagir à cette vertigineuse hégémonie du mal. M. H.