Liberté : Le marché pétrolier a fléchi et s'est affaissé dans un contexte d'incertitudes. Comment en est-on arrivé là ? Khaled Boukhelifa : Il n'y a pas qu'une seule cause à cela, mais plutôt une somme de plusieurs facteurs. L'un de ces facteurs était l'hésitation de l'Opep+ à réduire encore plus sa production, au début de l'année, alors que la pandémie de Covid 19 progressait dans de nombreux pays. Et, que les cours de l'or noir continuaient à baisser. Des divergences sont apparues entre des membres de l'alliance notamment en ce qui concerne la conférence extraordinaire de l'Opep+ prévue, au départ, début mars. Certains pays souhaitaient l'avancer en février. Il a fallu des discussions longues pour aplanir les divergences et renforcer les positions communes. La conférence s'est tenue le 6 mars à Vienne. L'Opep+ voulait, à l'occasion de ce rendez-vous, diminuer drastiquement sa production de pétrole, mais, à la surprise générale, le ministre russe de l'Energie a déclaré qu'il rejetait cette proposition. Cet échec a porté un sérieux coup au marché, faisant plonger les prix du pétrole. On s'en souvient, le WTI, baril de référence aux Etats-Unis, pour livraison en avril, a chuté de 10,1%, à 41,28 dollars, un niveau plus vu depuis avril 2016. Se sentant abandonnée par son allié russe, l'Arabie saoudite s'est lancée dans une guerre des prix, proposant de fortes baisses de tarifs sur la vente de son brut à des clients en Asie, en Amérique et en Europe. Pendant ce temps, la demande de pétrole continuait et continue encore à chuter. Un autre facteur clé réside dans l'insuffisance des installations de stockage. Quand un producteur n'aura pas assez de moyens pour stocker son pétrole, il sera obligé de le brader et s'en débarrasser. Comment voyez-vous les perspectives du marché ? À ce stade, personne ne peut prédire, de manière fiable, comment tout cela va se terminer. La reprise des cours pourrait prendre du temps. Tout dépend de la durée de cette crise sanitaire et de la capacité de l'Opep et de ses alliés à s'en sortir. La Chine a déjà commencé à faire redémarrer ses installations de raffinage, et c'est un bon signe. La consommation de brut va ainsi reprendre dans ce pays, même si ce dernier va commencer d'abord par le pétrole en stock. Par ailleurs, si la pandémie de coronavirus régresse dans d'autres pays et si le confinement est levé, cela contribuera à faire redémarrer l'économie, après avoir subi les effets du confinement. Du côté des producteurs, il y a nécessité que l'Opep et ses partenaires fassent plus d'efforts en réduisant davantage leur production. Il faut également associer à l'effort d'autre producteurs comme les Etats-Unis, le Brésil, la Norvège…etc. Quelles répercussions cette crise pétrolière aura-t-elle sur l'Algérie ? L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a exprimé, il y a quelques semaines, ses craintes d'impacts économiques et sociaux majeurs pour les pays producteurs de pétrole, en particulier les plus vulnérables, dans le contexte de la crise actuelle. Elle a estimé que si les conditions de marché actuelles persistent, leurs revenus issus du pétrole et du gaz chuteront de 50% à 85% en 2020, atteignant leur plus bas niveau en plus de 20 ans. Evidemment, si les cours de l'or noir ne se redressent pas, les conséquences seront désastreuses sur notre économie.