Liberté : Planche à billets, production de plus de 6 500 milliards de dinars, dépréciation de la monnaie nationale... depuis 2016, la Banque d'Algérie a été en première ligne pour amortir le choc externe sur l'économie. Par moments, ses interventions étaient d'une proximité flagrante avec la décision politique. Pensez-vous que l'action de la Banque d'Algérie est allée au-delà de ses prérogatives pour traduire sur le terrain le contenu de la décision politique ? Omar Berkouk : Cette question relève du statut d'une Banque centrale, en général, et de la Banque d'Algérie, en particulier, à savoir leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Le modèle de statut et d'objectifs de politique monétaire des Banques centrales a eu tendance à s'uniformiser et à s'harmoniser dans le monde du moins dans les principaux pays, notamment ceux de l'OCDE. Cette tendance s'est progressivement généralisée aux pays en développement. Ainsi, le principe de leur indépendance s'est imposé en même temps que leur objectif unique pour certaines (stabilité du niveau général des prix BCE) et double pour d'autres (stabilité des prix et emploi/croissance FED). Mais depuis la crise financière de 2008, cette orthodoxie a volé en éclats. Les Banques centrales sont venues au secours de l'économie, en général, et des Etats, en particulier. Elles ont mis en place, il est vrai dans un contexte d'absence d'inflation, des politiques monétaires "accommodantes", c'est-à-dire de création monétaire massive sous toutes les formes possibles et imaginables jusqu'au financement direct des Etats et des entreprises. La Banque du Japon allant même jusqu'à acheter en Bourse des actions des grandes sociétés japonaises (sous la forme d'ETF'S). Les Banques centrales sont sorties de leur rôle historique de gardiens de la valeur des monnaies souveraines et de contrôleurs du niveau général des prix pour tenir le rôle de "pompiers" d'une économie mondiale en feu en 2008 que les Etats souverains étaient incapables de circonscrire, notamment les Européens avec les règles de Maastricht : 3% et 60%. Ces politiques monétaires accommodantes ont permis à ces pays de se restructurer pour les plus forts et de se sauver pour les plus faibles (Grèce, Espagne, Portugal). Fort de ces exemples, le gouvernement algérien, après avoir nié l'ampleur du choc pétrolier de 2014, a essayé de gagner du temps jusqu'en 2016, espérant un retour à une meilleure fortune des prix des hydrocarbures, s'est convaincu de la "miraculeuse" solution monétaire et a ordonné à la BCA le financement direct des besoins du Trésor. Pensez-vous que cette solution monétaire était plutôt la bonne ? Au regard de ce qui se passait dans le monde monétaire, cette décision paraissait tout à fait "normale". Elle ne l'était pas par son ampleur (6 500 milliards de dinars) et par ses supports (concours directs au Trésor public). Les concours octroyés étaient supérieurs à l'impasse budgétaire de 2017. Ils ont servi en réalité à "éponger" les lois de finances antérieures et le hors bilan de l'Etat. Cela a été facilité par le remplacement du gouverneur Laksaci, moins flexible, par le gouverneur Loukal plus apte à répondre aux injonctions gouvernementales. Dans ce nouveau paradigme économique et financier mondial, la "nouvelle norme" ne disqualifie pas la Banque d'Algérie, mais elle nous interroge sur l'état des finances publiques, l'utilisation des ressources mises à disposition d'un Etat irresponsable. Le rôle de la Banque centrale d'Algérie est technique et quantitatif. Elle peut aider avec les instruments à sa disposition au financement de l'économie, à la stabilité des prix et au maintien d'un niveau de liquidités générales satisfaisant. Mais elle n'est pas responsable des déficits budgétaires et de la balance des paiements, de la persistance de l'énorme sphère informelle. Quel devait être donc, selon vous, le rôle de la Banque centrale depuis 2014, date d'un retournement de situation si spectaculaire sur le marché pétrolier ? La Banque centrale d'Algérie ne peut pas faire de "miracles". Elle gère une devise non convertible d'un pays qui a un double déficit (budgétaire et des paiements) et qui n'est pas une terre de prédilection des IDE. Sa gestion est sous de multiples contraintes, notamment celles d'un réseau bancaire en dessous des normes et d'une absence d'un marché financier et des capitaux (actions et obligations) à la hauteur de l'économie du pays. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 20 ans ne se sont pas préoccupés de la modernisation du système bancaire et financier du pays dont la Banque centrale est le pivot. Aujourd'hui, cette institution va poursuivre son "œuvre" de soutien aux banques publiques malades de leur mauvaise gestion, de refinancement de la dette publique, de la dévaluation par paliers du dinar. La Banque centrale ne crée pas directement de la valeur, elle la supporte. L'Etat et les agents économiques (entreprises et ménages) sont les acteurs directs de cette création. Pour ce faire, ces deux agents devront se réformer au plus vite pour cesser de consommer vainement des ressources rares. La santé macroéconomique du pays va en se fragilisant, ce qui exigerait de la Banque centrale de redoubler d'efforts et de vigilance face au tarissement des ressources en dinar et une forte érosion des réserves de changes. Quelle devrait être, d'après vous, la future politique monétaire de la Banque centrale et serait-elle en mesure de l'imposer au pouvoir politique ? Comme je l'ai déjà indiqué, la Banque centrale d'Algérie gère la monnaie et le crédit du pays sous de multiples contraintes. Ce travail est technique et quantitatif, elle n'est pas responsable de la situation macroéconomique du pays à la suite, par exemple, d'une hausse intempestive des taux d'intérêts comme cela est arrivé par le passé dans certains pays. Elle ne fait pas le commerce extérieur du pays, elle le finance. Elle ne fait pas la politique budgétaire du pays, elle finance son déficit. Elle gère déjà parcimonieusement les réserves de changes. Elle ne peut pas combattre l'informel. La modernisation du système bancaire du pays ne dépend que partiellement de cette institution. La Banque centrale d'Algérie ne s'impose pas à ce gouvernement. Si son gouverneur ne se soumet pas, il se démet ! L'institution peut recommander des réformes de structure à l'Etat, mais c'est le politique qui décide. Il ne faut pas l'ériger en bouc émissaire du manque de liquidités dans le réseau postal ou de la baisse continue des réserves de changes. Les solutions véritables et fondamentales résident dans le changement de politique économique et dans la mise en place des réformes de structure. Propos recueillis par : A. Titouche