Le pouvoir espère peut-être précipiter l'avènement d'autres entités qui feront office de relais et en phase avec les changements qu'il entend lui-même imprimer. Nouvelle mission pour Ahmed Laraba : après avoir présidé le panel d'experts chargés de l'élaboration de la mouture de la nouvelle Constitution qui sera soumise à un référendum populaire le 1er novembre prochain, voilà qu'il est appelé de nouveau à diriger la commission chargée d'élaborer le projet de révision de la loi organique relative au régime électoral. La désignation inattendue de cet universitaire et membre de la commission du droit international à l'ONU laisse à penser, qu'en dépit des contestations et des circonstances qui avaient entouré sa désignation à la tête du panel, les péripéties qui ont accompagné l'élaboration de la mouture et les polémiques qu'il a suscitées autour de certains amendements et lors de ses sorties, particulièrement de la part des formations islamistes, qu'il jouit d'une grande confiance auprès des nouveaux dirigeants du pays. Ahmed Laraba semble donc avoir réussi sa première mission, celle d'élaborer une nouvelle loi fondamentale à la hauteur de ce qui était attendu de lui. En lui confiant une nouvelle mission, celle du nouveau code électoral, Ahmed Laraba se révèle donc, aux yeux de ceux qui l'ont choisi, comme un atout sûr pour "répondre" et "satisfaire" à une autre séquence de la "feuille de route" du pouvoir entamée avec l'élection présidentielle de décembre 2019. S'il faut sans doute relever que pour une fois la mission n'est pas confiée au ministère de l'Intérieur, il reste à s'interroger sur la célérité de la mise en place de cette commission et sur les véritables enjeux y afférents. Le pouvoir suggère-t-il que la cause de la prochaine consultation électorale est déjà entendue et que le cap est désormais fixé sur les prochaines échéances électorales, dont les prochaines élections législatives appelées probablement à chambouler le paysage politique ? Sinon, comment expliquer cette subite effervescence qui s'est emparée de certains partis et de cette mystérieuse société civile qui se réunissent dans des enceintes cossues et bénéficient d'une grande médiatisation ? Privé de sa base politique traditionnelle (FLN, RND, TAJ et MPA) dont les dirigeants sont pour la plupart en prison et rejeté par le mouvement populaire, le pouvoir semble en quête d'une nouvelle assise populaire. Et dans cette perspective, il semble miser sur une société civile qui prend d'ores et déjà, au regard de certaines de ses composantes, les relents d'une nouvelle clientèle intéressée, lorsqu'elle n'est pas recyclée. "Je sens l'odeur du clientélisme qui a ruiné le pays, la politique du quota qui a détruit la politique et du populisme qui a ruiné l'économie. Les légions de la ‘brosse' et les serviteurs de l'ère Bouteflika sont de retour, la bousculade pour le rapprochement avec le souverain s'intensifie, la clientèle s'étripe. Nous avons mis en garde contre ce paysage et le temps nous a donné raison, et aujourd'hui, nous prévenons à nouveau. C'est un danger pour le pays", a commenté sur son compte Twitter le président du MSP, Abderrezak Makri. "Nous avons rejeté la feuille du pouvoir dès le début. Tout comme la Constitution, elle s'inscrit en droite ligne du choix du pouvoir de tourner le dos aux aspirations du peuple qui réclame un changement radical. Cette commission qui va évoluer avec les mêmes pratiques, qui s'inscrit dans la continuité des choix de Tebboune et de ceux qui l'ont intronisé, est, encore une fois, une perte de temps et d'énergie, deux paramètres qu'il convient d'exploiter pour aller vers un vrai changement où les partis, la société civile seront associés dans le choix des textes qui vont régir leur quotidien. Au lieu d'écouter le peuple, le pouvoir veut un changement intra-muros", souligne, pour sa part, Athmane Mazouz, membre de la direction du RCD. Visiblement, l'objectif du pouvoir, pressé d'ouvrir un nouveau chapitre, étant double : d'une part, assainir un champ politique, en partie en ruine et se défaire des partis empêcheurs de "penser en rond" et, d'autre part, contribuer à l'avènement d'autres entités qui feront office de relais et en phase avec les changements qu'il entend lui-même imprimer. Le pouvoir en quête d'une nouvelle assise populaire ? C'est peut-être le sens qu'il convient de donner à la campagne menée dans les wilayas depuis plusieurs semaines par le conseiller auprès du président de la République, chargé du mouvement associatif et de la communauté nationale à l'étranger, Nazih Berramdane. Réussira-t-il son pari lorsque l'on sait que son assise politique jusque-là était constituée d'une clientèle exclusivement intéressée par la rente et que cette manne s'est aujourd'hui tarie ? "Depuis l'élection présidentielle, les gouvernants multiplient des décisions unilatérales, alors qu'elles concernent l'ensemble de la société, des partis et de la société civile. C'est une approche de haut en bas alors qu'ils ont besoin d'un soutien populaire. L'apparition de partis et d'associations inconnues auxquels nous assistons ne procèdent pas du type d'acteurs dont ils ont besoin pour passer leur projet avec légitimité. Le pouvoir avance comme s'il avait un agenda sans inclure les partenaires potentiels. Sa légitimité sera forcément contestée", analyse la politologue, Louisa Dris Aït Hamadouche. Mais au regard du contexte politique marqué par les incertitudes, rien, au demeurant, n'est garanti : ni pour le pouvoir pour mener à bon port son agenda ni pour les partis pour se déterminer face à l'évolution de la situation. "Les expériences passées ont montré que les élections locales ou législatives sont un moment où les rôles politiques étaient répartis en fonction d'un scénario écrit par les tenants du pouvoir. Les futures échéances sont donc une grande tentation pour des partis car elles peuvent constituer une opportunité pour plus de visibilité, montrer les capacités de mobilisation et investir les institutions. Le contexte et les formes de préparation suggèrent que les prochaines élections législatives seront conformes aux précédentes. Il reste qu'aujourd'hui, on est dans une société qui s'est réintéressée à la chose politique", soutient Louisa Dris Aït Hamadouche. En décodé : tout dépendra de la reprise ou non du Hirak populaire.