Le phénomène de la violence criminelle connaît un rebond inquiétant ces derniers mois. Les femmes en sont les premières victimes. Deux jours après l'annonce de la découverte, à Thénia, du corps calciné de la jeune Chaïma, le parquet a fourni des détails glaçants sur les circonstances du décès de la jeune femme. Le présumé assassin a été écroué, mais ce nouveau féminicide suscite la colère des associations féministes et plonge dans l'émoi toute la société. Hier, le procureur général près le tribunal de Boumerdès a rencontré les journalistes. Les détails qu'il donne sur le crime crapuleux commis sur la jeune Chaïma sont sidérants. Tout en annonçant que le suspect du meurtre est écroué en attendant la poursuite de l'enquête, le représentant du parquet a raconté qu'en date du 2 octobre, c'est l'assassin présumé lui-même qui est allé alerter les gendarmes. Ce dernier, B. A., habitant à Thénia, est allé informer les gendarmes qu'il a trouvé sa petite amie assassinée et immolée dans l'enceinte d'une station-service abandonnée. Il raconte que c'est en allant acheter à manger, la veille, qu'il avait trouvé son amie, laissée dans une maison abandonnée, tuée, puis brûlée. Mais visiblement, les enquêteurs, qui se sont déplacés sur place où ils ont trouvé un corps non seulement brûlé, mais aussi mutilé à plusieurs endroits, n'étaient pas convaincus du récit du jeune homme. L'homme, qui dit avoir connu la victime en 2017, est passé aux aveux ; après avoir abusé de sa victime, il la tue et brûle son corps. Hier, le wali d'Alger s'est déplacé au domicile de la victime pour "présenter les condoléances du président de la République" à sa famille. Selon Soumiya Salhi, militante féministe, 38 féminicides ont été commis depuis le début de l'année en cours, contre 39 durant toute l'année dernière. Plusieurs cas d'assassinat de femmes, souvent par des procédés crapuleux, ont été rapportés par les médias. "Mais beaucoup ne sont pas signalés", se désole Mme Salhi. Ce qui a poussé le réseau Wassila, ce groupe d'associations activant dans le domaine de la défense des droits des femmes, à lancer un appel à un rassemblement, ce jeudi à Alger, pour dénoncer ce phénomène. C'est aussi pour cela qu'un sit-in symbolique s'est tenu, hier à Annaba, en signe de désapprobation contre la résurgence des assassinats de femmes. Outre ces actions publiques, des voix s'élèvent pour dénoncer le crime et surtout pour tenter d'éveiller les consciences dans la société contre ce phénomène. L'écrivain Amin Zaoui dénonce "l'acte sordide et assassin du violeur" qui est "souvent encouragé ou justifié par cette société hypocrite et déséquilibrée". Il explique ce phénomène par "le rapport assoiffé au corps de la femme". De son côté, la sociologue Fatima Oussedik, membre du réseau Wassila, y voit un problème de toute "la société qui, en l'absence de perspectives, devient sauvage". Elle déplore que "toute la journée", on "stigmatise les femmes" et "on organise la société contre elle-même, puisqu'un jour, on s'en prend aux femmes, et un autre, à d'autres citoyens". En revanche, pour la sociologue, qui dit réagir à chaud, "la violence contre les femmes est partout" dans le monde. Mais la différence, c'est qu'ailleurs, "l'Etat est fort, il poursuit les criminels et les enquêtes, ce qui n'est pas le cas chez nous". "C'est le résultat de la banalisation de la violence contre les femmes", déplore, de son côté, Soumia Salhi, qui pointe du doigt des émissions de télévision où la soumission des femmes est "mise en avant". Charifa Keddar, universitaire, accuse, elle, "le laxisme de l'Etat et de la justice" qui, selon elle, "n'ont pas montré de fermeté" contre les agresseurs. Même sur les réseaux sociaux, des groupes sont créés pour dénoncer ce crime et surtout appeler à l'application de la justice. Les photos du visage angélique de la jeune fille sont reproduites par des milliers d'internautes, dont beaucoup n'hésitent pas à réclamer l'application de la peine capitale. Surtout que ce crime est intervenu après une série d'assassinats crapuleux commis sur des femmes. Et souvent, les rumeurs prennent la place d'informations fiables émanant des autorités qui "ne s'expriment pas souvent", déplore Soumia Salhi. Fait inédit, le président de la Forem, la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche, a donné une autre justification. Il impute ce crime à "l'éducation des enfants" par les parents. "(...) La fille a dû avoir des relations faciles avec les gens. Elle s'est laissé berner soit à travers les réseaux sociaux, soit directement avec les personnes. Normalement, une fille, lorsqu'elle a une bonne éducation, ne doit pas se lier d'amitié ou même avoir de simples relations avec n'importe qui. Il faut qu'elle sache qui il est et quel est son comportement, à moins que ce soit un camarade à l'école ou à l'université", a-t-il indiqué dans une interview au site TSA. "En tant qu'Algériennes, nous dénonçons ces propos", s'est indignée Fatima Oussedik, qui dit regretter "que M. Khiati charge la victime". Hasard du calendrier, c'est le jour de la révélation du crime crapuleux commis contre Chaïma que le Conseil des ministres a examiné une loi contre les enlèvements et les kidnappings. Selon le communiqué du Conseil des ministres, rendu public dimanche soir, le chef de l'Etat "a ordonné que soient imposées les peines maximales, sans possible allègement ou grâce, quels que soient les tenants et aboutissants de l'acte d'enlèvement". Il a rappelé également "l'engagement de l'Etat à protéger les citoyens, à renforcer la justice et la primauté de la loi (...) et restaurer l'autorité de l'Etat pour être juste et protecteur des faibles au vu de la propagation du phénomène d'enlèvement (...)". Un article portant sur la protection des femmes est également inscrit dans le projet de la révision constitutionnelle. Pour les associations féminines, cette annonce constitue une avancée, mais cela "n'est pas suffisant". Fatima Oussedik met en cause l'association du durcissement des peines à "la notion du pardon", qui "annihile" toute dissuasion. Selon les statistiques des services de sécurité, la plupart des féminicides sont le fait de proches ou de connaissances. Ali Boukhlef