Ce n'est pas un fait divers. Et l'information mérite mieux que les quelques lignes qui lui ont été consacrées dans les pages locales de la presse nationale. Une jeune femme de 34 ans a été brûlée vive, il y a une semaine à El Khroub, 16 km au sud de Constantine. Un acte prémédité qui renseigne sur l'état de déliquescence de la société. Un acte qui a jeté l'émoi au sein de la population, mais n'a suscité aucune réaction. C'est un cas de violence. Encore un. L'acharnement contre les femmes ne cessera-t-il donc jamais dans un pays qui, il y a tout juste dix mois, a adopté une loi criminalisant ces violences ? Amira, c'est elle la victime cette fois-ci. En ce matin du 29 août, elle s'apprêtait certainement à rejoindre son travail. Il était 8h passées dans cette rue de la cité du 20 Août à El Khroub. Elle allait probablement entamer une journée ordinaire en cette fin d'été 2016, mais un homme en a décidé autrement. Il s'approcha d'elle, l'aspergea d'essence et la transforma en une torche humaine. Une fois le temps de l'émotion et de la compassion écoulé, la société a repris le cours de sa vie. Ce n'est qu'un cas de violence qui vient s'ajouter aux statistiques morbides. Les médias ont expédié une information, sur un ton laconique, sans lui accorder le traitement qui s'impose. Personne n'a dénoncé cette agression. Les forces vives se sont tues devant une agression innommable. Les associations féministes et autres se sont murées dans le silence. Les organisations des droits de l'homme n'y ont pas décelé une atteinte physique à un être humain et à sa dignité. Pas de position, encore moins de déclaration. Une victime est morte et son assassin, bien qu'identifié, court toujours. La seule réaction qui mérite d'être citée est venue d'une internaute. Une amie ou une inconnue, seule ou avec un groupe, peu importe. Amel a lancé un cri à la face d'une société, devenue aphone, insensible et inerte : «Assassinée dans l'insouciance... assassinée avec la bénédiction des médias silencieux de mon pays... assassinée sous les yeux de ma société qui s'en fout... Que faire ? Dénoncer le féminicide... ou dénoncer le silence d'une société sans voix devant un crime aussi crapuleux, juste... parce que crapuleux pour elle devient droit et nature quand on est un homme ?» Là où les rédacteurs de ce réquisitoire auront le mérite, à défaut de ne pas ébranler les consciences, de rappeler que les violences faites aux femmes ne sont pas une vue de l'esprit, c'est une réalité, une tare que la société, au nom de la sacro-sainte loi des us et traditions, couvre et minimise la portée. En décembre 2015, la Chambre haute du Parlement a enfin consenti à l'entérinement de la loi contre les violences faites aux femmes, dix mois après que le projet ait été adopté par l'Assemblée. Le combat pour faire aboutir ce texte n'a pas été de tout repos. C'est le couronnement d'une lutte ininterrompue menée à bras-le-corps par des associations qui ont tiré la sonnette d'alarme sur un phénomène étouffé par le poids du patriarcat. Une avancée, saluée par les uns et décriée par d'autres. Un crime de lèse-majesté pour les conservateurs qui ont qualifié cette loi de «liberticide vouant aux gémonies le socle familial et la dissolution de la cellule sociale». Le poids du conservatisme La loi en question prévoit, notamment, des peines d'emprisonnement mais aussi la perpétuité «si les coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans intention de donner la mort, l'ont pourtant occasionnée». Le harcèlement dans la rue, autre visage de la violence, est sévèrement puni. Le texte a toutefois été critiqué par bon nombre d'associations et ONG, dont Amnesty International, en raison d'une clause relative au «pardon» de la femme qui peut mettre fin aux poursuites judiciaires contre son agresseur. Une disposition qui n'est autre qu'une «pression supplémentaire sur les victimes déjà fragilisées pour ne pas aller jusqu'au bout de leur demande de justice… Très peu de plaintes atterrissent au tribunal parce que l'agresseur, la famille, l'entourage, les difficultés d'accès à la justice, le manque d'autonomie et de ressources obligent les victimes à se résigner, subir la violence jusqu'à ce que mutilation ou mort s'ensuive», avait analysé la sociologue Dalila Djerba, du réseau Wassila. D'où les statistiques faussées concernant le nombre d'agressions contre les femmes qui, même s'il est élevé, demeure en dessous de la réalité. Soumia Salhi, coordinatrice du collectif Stop à la violence ! Les droits aux femmes maintenant — composé de diverses associations et activistes, qui s'est constitué en 2010 pour mener une campagne de plaidoyer en faveur de l'avènement d'une loi-cadre sanctionnant les violences à l'encontre des femmes — avait mis le doigt dans un ancrage, presque immuable, dans la société lors de l'une de ses interventions. «La société demeure dominée par une religiosité traditionnelle. Les progrès sont immenses mais l'adaptation des mentalités est en retard. Pour une militante féministe, le plus difficile est de faire accepter ses revendications et ses comportements par sa famille et par son quartier.» La loi est aujourd'hui effective. Les agressions contre les femmes le sont aussi. En principe, la force de la loi est dissuasive, mais le conservatisme est très puissant dans notre société. Un anachronisme manifeste qui place, selon des associations, «les femmes dans une position subordonnée, sous autorité masculine dans la vie familiale et conjugale, et ceci même si une égalité formelle est inscrite dans la loi pour ce qui concerne la vie politique».