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"La langue maternelle est une langue naturelle que rien ne peut effacer"
ABDOU ELIMAM, LINGUISTE et professeur des universités à la Sorbonne
Publié dans Liberté le 21 - 10 - 2020

Liberté : Dans votre ouvrage Après tamazight, la darija (le maghribi), vous avez plaidé pour la reconnaissance officielle de cette langue, née du punique il y a 3 000 ans...
Abdou Elimam : En effet, il est bien curieux de voir un pays qui refuse à la langue populaire consensuelle – ce qui est le cas de la darija – un statut juridique qui la protègerait et lui permettrait de s'épanouir. Deux forces s'y opposent. Primo, ceux qui croient qu'elle n'est qu'une sous-langue, de l'arabe souillé. Secundo, ceux qui pensent qu'elle ferait de l'ombre à tamazight. Aux premiers, je rappelle qu'elle était déjà parlée à l'arrivée des Arabes ; aux seconds, je rappellerai que cette langue a fait un chemin trimillénaire avec le berbère, de façon toujours convergente et complémentaire. Pourquoi en serait-il autrement aujourd'hui ? Mais cela, c'est de la politique. Moi, je m'occupe de linguistique. Or, pour la science du langage, toute langue maternelle (c'est-à-dire acquise par la naissance) est une langue naturelle que rien ne peut effacer ; sinon la mort de ses locuteurs natifs. Précisons bien qu'une langue maternelle ou native est le produit d'une acquisition naturelle que nos cerveaux d'humains nous prédisposent à activer, instinctivement. La traduction de l'arabe de ce concept est souvent mal comprise puisqu'on parle de "langue mère", c'est-à-dire une sorte de ramifications géolinguistiques s'identifiant à une langue source. Cela n'a rien à voir avec notre disposition naturelle au langage. Nier taqbaylit ou la darija revient à nier la vie, voire réfuter la force initiatrice de ce souffle de vie – car les langues apparaissent en même temps que les humains. Voilà. Si on veut se réconcilier avec la vie, il faudrait commencer par lever les obstacles à ces signes de la Création et de l'Histoire. Contrarier le vivant revient à semer le trouble et pour ne récolter que désolation.
Le mouvement de contestation populaire de février 2019, le Hirak, a fait de la darija sa langue d'expression et ce, même dans des régions berbérophones. Vous qui aviez milité quasiment seul, un tel renfort quantitatif et qualitatif a dû vous réjouir...
Il est un fait que la langue du Hirak (slogans, chants, commentaires), c'est bien la darija. Ce qui démontre spontanément sa nature consensuelle. Mais il y a bien longtemps qu'il en est ainsi. Nous avons des traces qui remontent au VIIIe siècle (avant J.-C.) attestant de la pratique de cette langue. Ce qui veut dire que les populations autochtones d'alors parlaient – ou tout au moins comprenaient – cette langue. Et puis, pour qu'une langue pénètre les entrailles d'une société aussi complexe que la nôtre, c'est qu'il en a fallu du temps et, surtout, de l'adhésion spontanée, voire naturelle. L'expression verbale du Hirak n'a fait que remonter en surface un refoulé porté par des idéologues en rupture de ban : la darija est bien loin de s'effondrer ; c'est même le contraire que l'on observe. Ces sorties hebdomadaires ne pouvaient malheureusement pas laisser place à la poésie, à la belle prose et aux textes des anciens. Est-ce que l'on réalise que nous marchons sur mille ans de littérature en darija ? Une littérature millénaire boudée par les dirigeants et les institutions nationales : voilà une situation inouïe et pourtant véridique !
Vous prévenez dans l'ouvrage que faire la sourde oreille à ces symptômes – la question identitaire notamment – risque d'engendrer des crises cycliques, qui menaceraient à terme le consensus national. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Il est vrai que les questions identitaires ont pris un mauvais tournant dans la mesure où elles deviennent des entraves à l'épanouissement des individus. On ne peut recréer la société arabe du VIe siècle, comme on ne peut recréer un monolinguisme (faut-il berbère) non asserté. Dès l'Antiquité nous constatons au Maghreb une forte présence de langues diverses (syriaque, grec, hébreu, latin, punique, berbère et bien d'autres langues – africaines – dont nous avons perdu trace). Parmi elles seules deux langues natives (donc naturellement reproduites) se sont pérennisées : les variantes berbères et les variantes de la darija. Pour des raisons liées à la modalité de son émergence (langue du Coran), l'arabe n'a jamais été une langue native, ni chez nous ni ailleurs ! Par conséquent, la question de l'identité linguistique ne concerne, stricto sensu, que les variantes berbères et la darija. Voilà où devraient converger les efforts pour bâtir l'Algérie de demain. Or, nous constatons que les langues natives de la nation sont la cible d'attentions pas toujours bienveillantes. On exclut la darija des espaces de la république et on enferme taqbaylit (ainsi que les autres variétés) dans une construction vouée à l'échec : tamazight. C'est pour y voir plus clair que je préconise que les questions de l'histoire des langues (plus particulièrement) soient revues par nous les nationaux ; documents attestés à l'appui. Il ne s'agit pas de réécrire l'histoire, mais de dépoussiérer celle que nous ont léguée le colonialisme et la rumeur peu ou prou éclairée.
Vous avez indiqué que le moment viendra où il faudra revoir la Constitution, et ces questions identitaires vont très certainement peser sur les formulations. Considérez-vous que la tâche des législateurs a été simplifiée dans le projet de Constitution soumis à référendum le 1er novembre prochain ?
La mouture qui sera soumise à référendum le 1er novembre est le fruit d'un consensus politique bien conjoncturel. Ce dernier nous est commandé par la nécessité de dépasser la situation de vide léguée par la faillite du système bouteflikiste. Quant à la question identitaire, elle ne pourra porter ses fruits qu'en situation de sérénité politique. Je pense que le moment venu, il faudra réécrire la question linguistique pour lui restituer son caractère éminemment national. Mais aussi pour traiter de fond en comble le système éducatif qui continue de nier la langue des apprenants alors qu'on y est censés centrer l'enseignement sur l'apprenant – qu'est-ce qu'un apprenant sans langue ? Parallèlement au système éducatif, la réhabilitation des langues maternelles jouera un rôle d'apaisement et de revalorisation de soi ; ce qui fera reculer de manière drastique les violences qui se sont emparées des comportements de citoyens dès le jeune âge. Enfin, la culture nationale retrouvera ses marques autochtones pour pouvoir contribuer à la culture universelle. Vous voyez, derrière cette question se cachent des enjeux sociétaux énormes que le concept d'identité ne perçoit que partiellement – du moins dans ses formulations actuelles.
Vous énoncez que l'expérience universelle montre bien que les nations ne sont pas réductibles à une langue. Le multilinguisme est-il donc la règle ?
Le monolinguisme est une vue de l'esprit – les anciens disaient qu'il n'existe qu'au paradis... Mais sur terre, le monolinguisme n'existe nulle part. Certes, des pays comme la France ou l'Angleterre se prévalent d'une langue unique, mais ceci n'est que formel – faites parler un "Chti" (du Nord) avec un Marseillais et vous relèverez des différences phonologiques, lexicales et même grammaticales. Il y a une raison logique à cela : les sociétés humaines se sont constituées par groupements et regroupements plus ou moins importants qui durent le temps d'une saison de paix. Les alliances inter et intra-tribales finissent par se stabiliser, se sédentariser et améliorer les échanges verbaux. Les langues se font au jour le jour et leurs évolutions montrent que rien n'est figé en elles. Rien, sauf la volonté politique de choisir une langue pour tous. Mais attention : le seul critère de réussite d'une telle option, c'est que la langue choisie soit elle-même naturelle et qu'elle soit écrite. Comme seules les langues naturelles se reproduisent par la naissance, ce sont elles qui assurent le succès de la politique linguistique. Comme l'arabe n'est pas une langue native, elle n'a pu jouer de rôle fédérateur qu'à l'écrit. Pas comme langue de socialisation. Cette réalité plurilingue des sociétés est de plus en plus reconnue et des principes universels de démocratie linguistique ont pu émerger et être mis en pratique dans de très nombreux pays. Avoir une langue d'Etat, c'est une chose. Mais réduire la société à une langue, cela relève de l'impossible. En 1793, une enquête en France affirmait que les langues locales (occitan, breton, alsacien, etc.) étaient en voie de disparition. En 2020, ces langues sont toujours vivaces et elles ont fini par être intégrées, y compris dans le système éducatif français. On ne se débarrasse pas si aisément de langues natives, voyez-vous !
Vous soutenez que ces langues quasi jumelles, tamazight et la darija en l'occurrence, conservent tous les secrets des millénaires qui ont forgé notre histoire. Et qu'à ce titre, leur préservation et leur protection juridique contribueront "non seulement à sauvegarder notre patrimoine culturel commun, mais également à préserver un patrimoine universel"...
"Ma ydoum ghir es-sah". Il n'y a que le vrai qui traverse le temps et les volontés ponctuelles. Les langues naturelles sont à l'image des rivières : on ne peut enfreindre leur dynamique naturelle. Les deux langues maternelles de la nation marchent main dans la main depuis 3000 ans. Elles ont donc accumulé bien des savoirs. Or, en les anéantissant ou en les réduisant à moins que rien (c'est ce qui risque très certainement de se passer entre taqbaylit et tamazight, à court terme), on efface une mémoire sociale qui a traversé des siècles ! On efface notre propre histoire au profit d'une historiette. L'Unesco a un programme important sur ces questions d'ailleurs. Se réconcilier avec soi-même, c'est nous accepter tels que nous sommes – ce n'est pas un maquillage linguistique qui par magie transformera notre imaginaire social. À cet égard, la solution la plus élégante et la plus pertinente que l'humanité a trouvée c'est le bilinguisme ! Oui, le bilinguisme veut dire : sa langue maternelle et une langue autre. Il faut donc s'ouvrir sur les langues mais en préservant et en développant la sienne. C'est ainsi que la communauté européenne parvient à surmonter son plurilinguisme par exemple. Un bilinguisme qui inclut toujours la langue maternelle, c'est cela la cellule de la démocratie linguistique. L'aventure hasardeuse de vouloir généraliser tamazight dans le système scolaire par exemple est une mesure antidémocratique, car elle impose une langue à des locuteurs qui n'en sont pas natifs. Par contre, dans une société où les communautés linguistiques jouissent de leurs droits linguistiques, les échanges et la circulation des œuvres culturelles créent les conditions d'un multilinguisme non contraignant et ouvert.
Est-ce que "notre pluralisme est linguistique plutôt que culturel" ?
On peut dire que les langues sont des trésors où se nichent des représentations, des savoir-faire, des liens forts et émotionnels, des possibilités d'émancipation, etc. Or, dans un plurilinguisme naturel, ces représentations, cet imaginaire collectif amassent des valeurs qui, en circulant, deviennent partagées. Plusieurs langues peuvent ainsi renfermer de mêmes valeurs. C'est bien le cas dans tout le Maghreb. On constate que quelle que soit la langue parlée (berbère ou darija) des représentations identiques y sont consignées. C'est cela une culture nationale ! Bien entendu, la culture universelle a sa place, mais il faudra la penser comme on pense le bilinguisme : aller vers l'autre sans s'aliéner. Notre histoire nous aura permis d'échafauder des repères nationaux, voire maghrébins. Ce sont ces repères que j'appelle l'algérianité : ce sont ces mêmes repères qui nous ont fait. Brouiller ces derniers revient à disloquer des liens sociaux que l'histoire récente de la lutte de libération nationale a soudés de manière irréversible tant ils ont constitué une force unifiée face à un adversaire de taille. L'algérianité nous a sauvés, allons-nous la pérenniser ou continuer de la mettre en panne ?


Entretien réalisé par : Moussa Ouyougoute


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