À Tizi Ouzou, ils sont environ 250 opérateurs dans la filière des boissons alcoolisées à vivre dans la tourmente à cause de la longue fermeture de leurs établissements, imposée par la crise sanitaire. "Nous sommes engloutis par un sable mouvant et on s'enfonce chaque jour un peu plus." Saïd qui tient ces propos, n'est pas un égaré dans un quelconque désert, mais propriétaire d'un bar restaurant à Tigzirt, et dont l'établissement est fermé depuis le 19 mars dernier et qui, tout comme ses dix employés, vit depuis maintenant huit longs mois sans aucun revenu. Comme lui, ils sont environ 250 opérateurs dans la filière des boissons alcoolisées à vivre dans la tourmente après cette longue fermeture de leurs établissements dans le cadre des mesures de lutte contre la propagation de la Covid-19. "Durant les premiers mois de fermeture, j'ai continué à aider mes employés en leur versant ce que je pouvais de leurs salaires, mais plus maintenant, je suis dans l'incapacité de continuer à le faire. Alors, je leur ai demandé de se débrouiller comme ils peuvent", lâche Saïd, soulignant que le plus petit débit de boissons emploie 5 à 6 personnes au minimum. "Il y a ceux qui emploient jusqu'à une trentaine de pères de famille", précise-t-il. Pour ce restaurateur, le hic c'est que l'Etat ne s'est pas seulement contenté de ne lui accorder aucune aide, mais l'a aussi obligé à s'acquitter de ses impôts et autres charges. "Jusqu'à quand peut-on laisser autant de familles, déjà en difficulté depuis neuf mois, sans aucune ressource ? Nous avons des employés qui travaillent pour nous depuis 10 ou 15 ans, comment va-t-on faire ? Pis encore, on ne sait même pas de quoi sera fait demain. On nous ignore complètement", grogne-t-il, résumant, ainsi, la profonde inquiétude des professionnels de ce secteur où les pertes et le manque à gagner sont incalculables. "Nous ne disposons pas de chiffres, mais en plus du manque à gagner, il y a aussi les énormes quantités de marchandises qui sont périmées. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation alarmante et personne ne fait attention à nous. Le drame, c'est que personne ne sait jusqu'à quand cela va durer", s'inquiète, pour sa part, Mohamed Aba, un autre professionnel du secteur exerçant dans la ville de Tizi Ouzou qui compte, à elle seule, une soixantaine d'établissements. Depuis quelques semaines, cette inquiétude génère chaque jour un peu plus de colère parmi les propriétaires de ces établissements qui comptent parmi les derniers établissements à rester encore fermés pour cause de crise sanitaire. "Depuis le 14 juin, tous les restaurants sont ouverts, sauf ceux qui servent de l'alcool. Est-ce donc la bouteille d'alcool qui est porteuse de Covid ? Si c'est l'alcool qui contient la Covid, ils n'ont qu'à nous le dire, et dans ce cas, il n'y a qu'en Algérie que cela se produit", s'emporte l'un d'entre eux. "Quand on entre dans un commerce de vins et liqueurs, c'est comme si l'on rentrait dans une pharmacie. En tout cas, il y a moins de risque dans un commerce de vins et liqueurs que dans une supérette", estime Mohamed Aba, rencontré, samedi 24 octobre, au siège de l'UGCAA où il venait d'être élu président de la section, fraîchement créée, de débits de boissons et bars-restaurants de la wilaya de Tizi Ouzou. Explosion de la vente informelle Mais le plus exaspérant aux yeux de ces commerçants, c'est surtout le silence des autorités, y compris du Président, qu'ils ont saisi depuis le début du mois d'octobre par lettre ouverte. "Nos établissements ont été fermés sur la base d'un arrêté qui a utilisé les termes : débits de boissons. Mais au déconfinement, bien que l'arrêté ait repris les mêmes termes, les établissements qui ont tenté de rouvrir se sont vu signifier qu'ils ne sont pas concernés, car le mot alcoolisée n'y figurait pas. Et lorsque nous avons été reçus, le 6 octobre dernier par le chef de cabinet, il nous a entièrement donné raison, mais malgré cela, aucune suite favorable n'a été donnée à notre demande de réouverture", se désole Mohamed Aba, non sans se demander pourquoi personne n'a trouvé à redire quand les producteurs se sont remis au travail, ni levé le petit doigt devant l'explosion de la vente informelle d'alcool. "Nous détenons des emballages portant des dates de fabrication qui remontent à moins de 15 jours, et si des produits fabriqués depuis moins de 15 jours sont en vente, cela veut dire que les anciens stocks ont été épuisés et que les usines sont en production. Mais puisque nous, les distributeurs de ces produits, sommes fermés, il y a lieu de s'interroger par quel moyen l'écoulement des produits se fait, sachant que les usines sont, pour la plupart, à Alger", souligne encore M. Aba, non sans déplorer le fait que ceux qui exercent légalement et payent leurs impôts sont soumis à la fermeture, alors que l'informel est toléré. Et M. Aba d'enfoncer le clou : "La vente se fait désormais à chaque coin de rue, aux abords des routes, de manière informelle et, pis encore, souvent par des mineurs." Il suffit, en effet, d'emprunter la rocade nord de Tizi Ouzou pour constater qu'elle s'est transformée en un vaste marché informel d'alcool à ciel ouvert et où mineurs et adultes se livrent à la vente et à la consommation de boissons alcoolisées. Contacté à ce sujet, Samir Djebar, coordinateur de l'UGCAA à Tizi Ouzou, estime que cette activité commerciale compte parmi celles qui emploient, directement ou indirectement, le plus de personnes dans la région. "En plus de leurs centaines d'employés qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés dans la misère, des pertes et un manque à gagner pour les propriétaires, il y a lieu de relever que ce sont environ 250 établissements qui ne payeront pas leurs impôts. Une perte non négligeable pour l'administration fiscale", déplore-t-il avant de lancer un nouvel appel aux autorités, afin de mettre le holà à cette situation regrettable à tous points de vue.