Pour les experts, la relation de cause à effet est vite établie entre la situation épidémiologique et le relâchement observé chez le citoyen au quotidien depuis la levée progressive du confinement. Les chiffres du Dr Djamel Fourar et les constats prévisionnels alarmants des épidémiologues confirment que les contaminations par le Covid-19 vont encore exploser en Algérie. À qui incombe alors la première responsabilité ? Aux citoyens ou aux autorités sanitaires ? Quelle riposte prépare le Comité scientifique pour endiguer la menace virale ? Peut-on éviter le reconfinement ? Les membres du Comité scientifique n'y sont pas allés par quatre chemins pour pointer du doigt, une nouvelle fois, le comportement "irresponsable" des citoyens qui ont fini par abandonner toutes les mesures barrières et d'hygiène devenues indispensables dans cette interminable bataille contre la Covid-19. Les scientifiques qui rappellent aujourd'hui que leur mission ne consiste pas à évaluer la situation sanitaire, mais à élaborer des protocoles sanitaires et suggérer des solutions médicales et scientifiques. Pour ces experts, la relation de cause à effet est vite établie, faisant que la situation épidémiologique devenue très inquiétante est une résultante directe du relâchement observé chez le citoyen au quotidien depuis la levée progressive de confinement. "Après une longue période de quarantaine qui a permis d'enregistrer d'excellents résultats dans cette guerre contre un virus qui menace l'humanité entière, les gens ont donné libre cours à leur comportement en délaissant l'ensemble des mesures qui les protègent de la maladie. Ils ont mal compris que ce mini-succès enregistré n'est autre qu'une petite bataille remportée, la guerre est encore longue", alertent des membres du comité. Pour le Dr Mohamed Berkani Bekkat, "la situation est très inquiétante. On craint des jours encore plus difficiles. On doit obliger les citoyens à reprendre le port du masque dans tous les endroits publics. Les masques sont les grands absents aujourd'hui dans la rue, pourquoi ?", regrettera le président du Conseil national de l'Ordre des médecins qui n'omettra pas de prévenir que tous les derniers clusters découverts ces derniers jours sont familiaux. C'est dire que la diffusion du virus est devenue intrafamiliale, notamment après la levée de l'interdiction des fêtes de mariage où les conditions de risque d'infection sont grandes. Même si le comportement des citoyens est pour quelque chose dans l'explosion de la pandémie après une décrue très significative, quelles sont les autres alternatives proposées par les autorités sanitaires pour enrayer la maladie et accompagner les citoyens dans cette bataille ? Les blouses blanches qui sont au premier rang de la bataille explosent de colère. Elles réfutent la thèse des scientifiques qui sont constamment "en conclave, loin de la réalité des hôpitaux. Ces experts estiment que cette urgence sanitaire à laquelle fait face ces derniers jours le pays est la conséquence logique du comportement des individus", dénoncent-ils. Ils sont même allés jusqu'à contester la démarche de lutte adoptée par les autorités sanitaires. "C'est trop facile d'accuser les citoyens, mais qu'a-t-on fait de correct ? Qu'est-ce qui n'a pas été fait depuis sept mois de lutte", s'interrogent des praticiens qui font face au quotidien à une grande pression dans les hôpitaux. Pour eux, il est temps de marquer une halte et de lancer une réflexion sérieuse sur la stratégie mise en branle depuis la découverte du cas zéro de Covid-19 en Algérie. En fait, nos interlocuteurs de l'hôpital Issad-Hassani de Beni Messous ou des autres CHU du pays étaient tous unanimes pour dire qu'il n'est pas plus judicieux de réduire la stratégie nationale de lutte contre la Covid-19 à présenter chaque soir des chiffres de l'évolution de la pandémie. "Une stratégie est quelque chose de beaucoup plus grand qu'une simple lecture des décomptes de contaminations, de décès et du nombre de malades en réanimation", s'insurgent-ils, avant d'ajouter : "La véritable riposte ne se limite pas à sonner le tocsin sur la dangerosité du virus ou à prédire la survenue d'une deuxième vague, en se relayant aux tribunes des médias publics." Autrement dit, la responsabilité de cette hausse des contagions n'incombe pas uniquement aux citoyens. "Les pouvoirs publics ont un grand rôle à jouer dans cette bataille. Les autorités sanitaires sont tenues d'accompagner et de guider le comportement des gens, en développant le segment de la communication de santé, en associant des experts en relations humaines au Comité scientifique. Où sont passés les sociologues, les anthropologues, les psychologues ?" s'interrogent des spécialistes en médecine. Ces derniers estiment qu'il est encore temps d'engager une réflexion pour corriger et rattraper ce qui n'a pas été fait, puisque l'on continue toujours à être obnubilé par les chiffres du Dr Djamel Fourar et le flux des patients qui défilent dans les hôpitaux. La dernière recommandation faite par l'OMS pour juguler cette maladie menaçante consiste à développer une stratégie de suivi et de prise en charge des sujets contacts. Qu'a-t-on fait en matière de suivi des contacts qui restent par définition des potentiels transmetteurs et contaminateurs de Covid-19 ? La recommandation de l'Organisation mondiale de la santé suggère qu'il est quasiment impossible de réussir à enrayer cette maladie du pays tant que les contacts des cas positifs sont "laissés à l'abandon". À ce titre, l'on se demande où sont passées les enquêtes épidémiologiques tant promises au début de la bataille contre le coronavirus ? Quel est le nombre de confinés ? Combien sont-ils les patients faux négatifs ? Quel est le nombre des patients testés dans les laboratoires privés ? Ce sont autant de questions qu'il faudra cerner pour ajuster et renforcer sa stratégie de riposte. Ces interrogations nous suggèrent la nécessité de s'inspirer des propositions faites en mars derniers pour lutter contre la Covid-19, par les professeurs Mohammed Belhocine, expert auprès de l'OMS, Noureddine Zidouni, spécialiste en tuberculose et maladies respiratoires, Leïla Houti, chef de service d'épidémiologie, Allel Louazzani, épidémiologiste, et Khaled Bessaoud, également épidémiologiste. C'est une réflexion qu'a développée, au-delà des aspects médicaux ou hospitaliers, l'organisation "ad hoc" de la riposte au Covid-19.