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"Il faut abolir le code de la famille"
Fadela Boumendjel Chitour, Professeur de médecine, présidente du réseau Wassila
Publié dans Liberté le 25 - 11 - 2020

La présidente du Réseau Wassila détaille les mécanismes qui doivent accompagner la sécurité juridique des femmes victimes de violences.
Liberté : Les violences faites aux femmes se sont multipliées dangereusement ces dernières années, avec, notamment, une augmentation des cas de féminicide. Comment expliquez-vous cela ?
Fadela Boumendjel Chitour : Ce drame de notre société restait encore, il y a quelques années, un sujet tabou. On a l'impression qu'il y a une augmentation des violences faites aux femmes parce que nous en parlons plus aujourd'hui. Il est très difficile de parler véritablement d'augmentation des violences faites aux femmes, en l'occurrence les féminicides, en raison de l'absence d'organismes et de structures qui recensent et répertorient systématiquement les femmes violentées.
Toutes les données chiffrées que nous avons sont malheureusement fragmentaires. Il existe évidemment les données de la police ou de la gendarmerie, des instances judiciaires, quand il y a dépôt de plainte, ou encore les données des associations de défense des droits des femmes, mais qui restent, comme je l'ai dit, loin de refléter la réalité des violences multiformes que subissent les femmes.
Il faudrait un enregistrement systématique de toutes les violences et ensuite une coordination d'un organisme chargé de donner des chiffres plus ou moins proches de la réalité. Car, faut-il le rappeler ici, nous n'aurons jamais les données réelles pour la simple raison qu'il y a un nombre très important de femmes violentées qui n'avouent pas leur supplice. Tout ce qu'on pourra donner comme chiffre restera, par conséquent, illusoire.
Enormément de cas de violences faites aux femmes ne sont pas déclarés. Pour vous donner un exemple, il y a beaucoup de féminicides et d'assassinats qui sont camouflés et travestis en mort naturelle, suicide ou encore en accidents domestiques. C'est vous dire toute la difficulté de faire une collecte globale des chiffres plus ou moins réels en rapport avec ce drame social.
Quelles sont les causes de cette violence ?
Je pense que c'est directement lié au statut de la femme et sa condition politico-juridique et sociale. Tant que le code de la famille continuera de régir le fonctionnement de la famille en consacrant la discrimination, l'inégalité entre l'homme et la femme, la suprématie et la domination masculine — en totale contradiction avec les textes de la Constitution —, les femmes continueront de subir la violence sous toutes ses formes.
Le meurtre de la jeune Chaïma a suscité une grande indignation. Des appels ont été lancés pour l'application de la peine capitale. Votre avis ?
Le meurtre horrible de la jeune Chaïma a suscité de l'indignation. Mais beaucoup de réactions, souvenez-vous, ont été également indignes et déplorables envers cette victime en particulier. De nombreux "citoyens", sur les réseaux sociaux ou même à travers les médias, se sont permis des jugements sur la victime elle-même en l'accusant de légèreté ou d'inconscience.
On a cherché presque une justification à ce meurtre. C'est d'abord inadmissible, et ensuite, cela fait un tort terrible à la cause des droits de la femme. Pour les appels au rétablissement et à l'application de la peine capitale, ce ne sera jamais la solution.
Même dans les années les plus sombres de l'Algérie indépendante, la période terroriste, la peine capitale n'était pas applicable. Il existe dans le code pénal assez de mécanismes de répression et de condamnation. Je pense que la perpétuité est déjà exemplaire en la matière. La peine de mort n'a jamais eu un effet dissuasif sur les criminels ou les potentiels criminels.
Son rétablissement ne fera en aucun cas avancer la cause humaine de manière générale. Bien au contraire, c'est aller à l'opposé de la civilisation. Encore que, dans notre pays, nous avons été terriblement marqués par les horribles exécutions capitales pendant la Guerre de l'indépendance. Nous ne gagnerons pas en dignité en appelant au rétablissement de la peine de mort. Un état de droit qui se respecte s'honore à abolir la peine capitale.
Quels sont, selon vous, les mécanismes à mettre en place, afin de limiter les violences faites aux femmes ?
Un long travail en profondeur s'impose sur ce plan. À commencer par la mise en œuvre des mécanismes législatifs de façon à avoir une cohérence dans les textes de loi, afin de rétablir l'égalité entre la femme et l'homme, sans aucune discrimination. Cela passe nécessairement par l'abolition du Code de la famille.
Deuxièmement, améliorer les dispositions législatives des textes existant déjà, en particulier la clause du pardon dans la loi qui criminalise la violence faite aux femmes de 2015. Il y a aussi l'amélioration de la loi sur le harcèlement sexuel qui doit prévoir la protection des témoins. Cela, sur le volet législatif. Il faut, par ailleurs, penser, dès à présent, à créer et en urgence, des centres d'appels téléphoniques accessibles gratuitement pour appeler au secours. Il est également question de prévoir des protocoles d'intervention rapide des services de sécurité sensibilisés et formés à cette mission.
Par ailleurs, et pour protéger les femmes avant qu'elles ne meurent, les agresseurs doivent être immédiatement interpelés et les victimes mises sous protection avec ou sans certificat de médecine légale. Il s'agit également de réquisitionner des hôtels pour abriter les femmes et leurs enfants en danger, la construction de centres d'hébergement, partout dans le pays, avec un accès aux femmes victimes de violences, quel que soit leur statut matrimonial, avec ou sans enfants ; la création d'un budget alloué à l'aide aux victimes de violences et à leurs enfants.
Un travail de formation des professionnels doit également être mené. Je pense que les services de sécurité, la justice ou encore les services sociaux doivent être plus que jamais formés, afin de mieux protéger les victimes, éloigner l'agresseur, enregistrer la plainte ou encore orienter les victimes vers des structures dédiées. À cela doit s'ajouter, et j'insiste, un travail de sensibilisation qui doit être mené en profondeur avec, notamment, des campagnes massives d'éducation à l'égalité, que ce soit dans les programmes et établissements scolaires, dans les affichages de rue et dans les médias et les télévisions, en particulier.

Propos recueillis par : KARIM BENAMAR


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