Les associations de défense des droits des femmes ont constaté ces dernières années une augmentation des brutalités, avec un taux conséquent de mutilées et de traumatisées. Pour la sociologue Dalila Iamarène-Djerbal, "passer sous silence des microviolences jusqu'à la violence extrême, les banaliser, ne pas sanctionner ces actes à leur juste mesure, c'est promettre aux futurs assassins l'impunité". Liberté : Le viol et l'assassinat de la jeune Chaïma ont relancé à la fois le débat sur la peine capitale et sur l'urgence de revoir les mécanismes de lutte contre la progression des violences envers les femmes. Que faut-il mettre immédiatement en place ? Dalila Iamarène-Djerbal : Malheureusement, l'indignation dans l'opinion publique a une durée de vie limitée. Elle s'éteint rapidement pour différentes raisons, mais nous avons vu quand même un sentiment de colère et d'horreur dans toute la société, largement relayé dans les médias. Les manifestations publiques de femmes dans plusieurs villes montrent qu'une partie de la société ne se contente plus des "propos rassurants" des autorités, mais exige des mesures concrètes. L'expérience de tous les pays a montré que la peine de mort n'élimine pas la violence. Que la famille de la victime, dans sa douleur, la réclame, c'est humain, mais que la société revendique la loi du talion, c'est revenir aux ères obscures. Eliminer un assassin n'élimine pas le système qui produit des hommes violents. La peine de mort n'a jamais dissuadé personne, et une société violente continuera à produire des agresseurs et des assassins. Rappelez-vous, il y a quelques années, nous avions vécu le même moment d'horreur absolue avec les enlèvements, les viols et les assassinats d'enfants. Cela fait vingt ans que nous dénonçons les violences contre les femmes et les enfants et cela fait vingt ans que nous proposons des mesures pour prévenir ces horreurs. Il faut d'abord que la victime qui dépose une plainte soit prise au sérieux et protégée par les autorités. Si l'agresseur est laissé à ses comportements violents, s'il est relaxé ou condamné à une peine symbolique, ou si la plainte finit dans les méandres des bureaux, il continuera à user des coups et de menaces et, malheureusement, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Nous avons constaté une aggravation des violences ces dernières années avec un nombre significatif de survivantes traumatisées avec toutes les conséquences sur les enfants et leurs familles. Une a reçu plusieurs coups de couteau au thorax, une a eu la gorge tranchée, une a été aspergée d'essence et brûlée vive, une a été très récemment poussée du 4e étage du logement conjugal après que son enfant de 5 ans a eu la plante des pieds brûlée par le criminel. Ces victimes ont frôlé la mort et ne sont pas comptabilisées. On ne mesure pas suffisamment l'impact de ces événements sur la société. Passer sous silence des microviolences jusqu'à la violence extrême, les banaliser, ne pas sanctionner ces actes à leur juste mesure, c'est promettre aux futurs assassins l'impunité. Mais le "pardon" existe déjà dans la loi de décembre 2015, un "pardon" qu'on arrache à une victime terrorisée, détruite, et dont tout le monde veut se débarrasser ! Qu'elle retourne à son bourreau et qu'on n'en parle plus ! Jusqu'au drame ! Pour protéger efficacement les femmes, ne faut-il pas prévoir, à l'instar de bien d'autres pays, des ordonnances d'éloignement ? Nous ne connaissons pas le détail de la mort de Chaïma, mais apparemment son assassin a eu une peine très symbolique pour sa première agression. Une manière de lui signifier que son acte n'était pas très grave ! Pourquoi n'a-t-elle pas été protégée ? Pourquoi l'agresseur n'a-t-il pas été mis en garde par les autorités ? Surtout, qu'on ne nous dise pas qu'elle est allée avec lui de son plein gré, car nous savons qu'une victime terrorisée et tétanisée est incapable de se défendre. Que les commissariats et les brigades de gendarmerie forment des gens pour écouter ces victimes, cela interpelle les agresseurs au moins pour leur faire prendre conscience qu'ils enfreignent la loi "officielle", puisque la loi sociale leur dit le contraire. Arrêtez de demander des certificats d'ITT de 15 jours pour transmettre les dossiers à la justice, c'est attendre que la violence s'aggrave ! Eloigner l'agresseur du domicile le temps que la justice tranche, au lieu de renvoyer les femmes et les enfants à la rue. Faire en sorte que l'affaire soit rapidement jugée pour réparer les victimes de leur traumatisme, car on sait que les affaires de coups et blessures volontaires qui passent d'audience en audience, d'appel en pourvoi condamnent la victime durant de longues années à l'incertitude absolue et à la précarité. Que les peines pour violences soient effectivement appliquées et qu'elles ne soient pas effacées à la prochaine Fête nationale. La loi contre les violences faites aux femmes entrée en vigueur en 2016 ne semble pas avoir amélioré considérablement le quotidien des franges vulnérables. Est-ce essentiellement à cause de la clause du pardon ? Cette loi n'a pas "rempli ses promesses" car il était évident que les mêmes procédures, les mêmes "mécanismes juridiques", le même personnel très largement "formaté" à banaliser la violence contre les femmes, que ce soit la santé, la police, la gendarmerie, la justice, à part des exceptions, ne pouvaient que produire les mêmes résultats. La "clause du pardon" est devenue la formule d'une "mise en demeure", avant même de s'inquiéter de savoir dans quel état est la victime. La révision constitutionnelle promet davantage de protection à la femme, mais les discriminations qui émaillent le code de la famille sont maintenues. Ne voyez-vous pas là une contradiction dans la démarche de l'Etat ? Les quatre Constitutions qu'a connues l'Algérie, rajoutez les révisions, toutes ont déclaré l'égalité des citoyennes et des citoyens, toutes ou presque ont parlé de lutte contre les discriminations et les inégalités, mais le résultat est le même : un statut subalterne des femmes, mineures à vie, et une violence en augmentation 50 ans après l'indépendance, alors que nous avions cru construire une société de citoyennes et de citoyens pour le plus grand bien de tous. Le pays et la société doivent se prononcer clairement dans la loi fondamentale qui est la Constitution pour l'égalité en droits et en devoirs des femmes et des hommes, pour commencer. C'est le principe juridique de base que de fixer le statut de chacune et de chacun dans sa relation à l'Etat et dans sa relation aux autres citoyennes-citoyens. Tant que les relations juridiques et sociales assignent les femmes à une famille, à un père, un frère, à un époux, nous vivrons la violence de nos "tuteurs". C'est ce statut de mineure qui est à la racine de la violence, largement repris et justifié par l'éducation, la culture, la loi. Les femmes se battent depuis la lutte de Libération nationale pour être des sujets politiques ; elles affirment depuis des décennies leur place, gagnée durement, dans le Hirak ; elles ont exprimé clairement leur volonté de changement de la société, et la nouvelle génération poursuit ce combat.