Les rapports dressés par des psychologues mobilisés au sein d'unités Covid sont poignants, voire bouleversants. Le personnel médical qui y est affecté est au bord de la dépression et a besoin urgemment d'un accompagnement psychologique. Les dégâts de la crise pandémique ne se mesurent pas uniquement au nombre d'atteintes et de décès dus au coronavirus, mais aussi aux traces et aux conséquences sur la santé mentale chez les patients souffrant de l'infection virale et leur entourage. Les dommages collatéraux de la Covid-19 sont également incommensurables et visibles sur les plans psychique et psychologique. À telle enseigne que les psychologues hospitaliers se sont mis au rythme des soignants depuis l'avènement de la maladie qui a ébranlé la planète. Cette situation sanitaire inédite a eu aussi un retentissement direct sur les équipes soignantes qui mènent depuis maintenant près de neuf mois guerre de médecine de guerre d'un autre genre. Les témoignages des psychologues mobilisés au sein d'unités Covid sont poignants, voire bouleversants. Les rapports constants qu'ils ont dressés sur l'état de santé mentale des blouses blanches sont sans appel. Le personnel médical affecté aux unités Covid est au bord de la dépression. Le dernier rapport du mois d'octobre fait état de l'aggravation de la situation mentale du personnel, qui signale l'apparition d'une nouvelle pathologie, connue dans le langage des psys sous le nom d'angoisse de la mort, nous a confié une psychologue clinicienne qui exerce dans un hôpital d'Alger. C'est dire que l'heure est vraiment grave dans les services de lutte contre le coronavirus. Les praticiens en première ligne souffrent désormais d'une palette d'émotions liées au sentiment d'insécurité, d'impuissance ou de mort. Les soignants manifestent, en ce temps de deuxième vague qui vient de pointer son nez, des signes d'alerte psychique très inquiétants. Les consultations d'ordre psychologique organisées pour les professionnels battent leur plein à l'heure du Covid-19. Pourtant, avant la crise pandémique, ces spécialistes de la thérapie mentale et du soutien moral ne croisaient pas dans les couloirs ces infirmiers, ces surveillants médicaux ou encore ces médecins angoissés en quête de mots réconfortants et rassurants. "Près de 60% du personnel mobilisé dans les unités Covid dans un établissement d'Alger sont infectés. Des médecins et autres ont eu la Covid 2 à 3 fois déjà. Toutes ces personnes nécessitent un accompagnement psychologique et, dans certains cas, un suivi psychiatrique", préviendra notre source. Les signes d'alerte recensés jusque-là font craindre d'atteindre, dans les prochains jours, une situation de non-retour. "La propagation accélérée de l'épidémie suivie de l'annonce de la mort d'un soignant suscite des sentiments de débordement et d'angoisse. Les entretiens individuels organisés montrent bien que les professionnels de la santé font face à des réalités émotionnelles extrêmement difficiles à gérer", alertera une autre psychologue œuvrant dans autre établissement de la capitale. En fait, être témoin et psychothérapeute des équipes médicales de première ligne de lutte révèle toute la rudesse de la mission des "guérisseurs" du stress. Portant les mêmes surblouses et mettant les mêmes bavettes chirurgicales que leurs collègues qui sont sur le front, les psys que nous avons pu interroger rappellent qu'ils ont élaboré aussi tout un plan d'action spécifique de prise en charge des infirmiers et autres personnels contaminés.Lequel plan a permis, semble-t-il, de mieux organiser le suivi des équipes médicales, à travers des séances de débriefing direct ou de téléconsultation. "Après neuf mois de lutte, les équipes de soins sont aujourd'hui éreintées. Elles souffrent d'épuisement excessif, de sentiment de solitude et de peur", avertira une autre psy qui sonne le tocsin : "On a recensé en ce mois d'octobre beaucoup de cas de burn-out et de personnel souffrant de trouble du sommeil incluant des cauchemars, des dépressions réactionnelles, des déprimes et surtout des cas de TOC." Le TOC fait le pleinen milieu hospitalier Le trouble obsessionnel compulsif (TOC) se définit comme une anomalie psychique grave qui se manifeste par l'apparition répétée de comportements ponctués par la phobie. En fait, le TOC se manifeste beaucoup plus chez les soignants qui recourent avec excès au lavage des mains par crainte d'attraper ou de transmettre le virus à leurs proches. "On a eu l'occasion examiner le cas d'un jeune médecin pris de phobie. Ce médecin qui venait d'avoir un garçon passait son temps à pleurer. Il craignait de mourir sans avoir eu l'occasion d'embrasser son enfant. Il ne s'approchait pas de son fils par crainte de le contaminer. Il était obsédé par les mesures de distanciation", relatera la psy. L'anorexie mentale est aussi une pathologie rapportée dans le dernier rapport transmis à la DSP. Nos sources définissent, au passage, l'anorexie mentale comme un trouble du comportement alimentaire. Ces thérapeutes par les mots justes et appropriés soutiennent que les séances de parole organisées ont révélé également d'autres malaises intérieurs souvent profonds et qui rongent le personnel soignant. Ce qui nécessite d'ailleurs de prolonger le travail d'accompagnement, même après la disparition définitive de l'épidémie. Souffrant de l'angoisse de la mort, une infirmière exerçant dans un CHU de la capitale illustre bien le risque d'une situation de non-retour. "J'ai traité le cas d'une infirmière qui nécessite désormais un traitement psychiatrique. Cette collègue est en arrêt de travail depuis la disparition d'un surveillant médical à cause du Covid. Depuis la mort de ce soignant, l'infirmière en question faisait des cauchemars hallucinants qui lui ont fait croire qu'elle allait mourir du Covid si elle venait à reprendre son travail", poursuivra cette analyste, avant de poursuivre : "L'état de santé de cette soignante m'a fortement choquée. Elle hallucine matin et soir. Elle a atteint un degré insupportable de souffrances psychiques. Je lui ai prescrit une orientation psychiatrique." Ce cas de décompensation relance, aujourd'hui, la lancinante question liée à la stratégie de protection des soignants. Pour nos interlocuteurs, la protection du personnel soignant ne se résume pas en la disponibilité des gels hydroalcooliques ou de masques chirurgicaux. Les dégâts psychologiques occasionnés par le Covid-19 exigent le réajustement urgent de la démarche suivie pendant ces longs neuf mois de lutte. Nos interlocuteurs ont relevé, dans le même contexte, l'urgence de penser une autre organisation de déploiement du personnel soignant dans les unités Covid. "Nous avons proposé, tout à fait au début de l'épidémie, d'ouvrir des services équipés de tous les moyens de soins, en dehors du périmètre hospitalier, c'est-à-dire dans des espaces et des enclos sportifs, comme il se fait ailleurs dans beaucoup de pays au monde. Cette solution vise, en fait, à mettre à l'abri les soignants des autres services du climat de peur qui règne dans les hôpitaux. Mais les autorités n'écoutent pas les suggestions des professionnels du terrain. Pour preuve, on vient de transformer l'EPHS Aïssat-Aït Idir spécialisé en neurochirurgie en un centre Covid. Ont-ils pris la peine de mesurer les conséquences d'une telle décision hasardeuse ?" ont alerté ces professionnels d'accompagnement et d'aide psychologique.