Entretien réalisé par Saïd Aït Mébarek Comment rendre le stress gérable en cette période de crise sanitaire et de confinement. Quelles peuvent être les conséquences de cette situation sur notre santé psychique. Comment expliquer les troubles du comportement observés durant cette période. Quelles projections peut-on faire sur le moment du retour à une vie normale (situation post-traumatique). Avec le Pr Messaoudi Abdelkrim, psychiatre et doyen de la Faculté de médecine de l'Université de Tizi-Ouzou, nous faisons le point sur les risques induits par cette situation inédite et exceptionnelle sur les plans psychologique et humain, et sur la manière de gérer, au mieux, notre stress, pour éviter des conséquences dommageables pour notre santé mentale. «Le contexte anxiogène consécutif à la pandémie du Covid-19 et le confinement en lui-même peuvent être une source de fragilisation de l'état psychique de la personne», alertera notre interlocuteur. Le Soir d'Algérie : Peur de tomber malade, de perdre un proche ou de manquer de nourriture et incertitude économique ou encore quasi-arrêt de la vie quotidienne et perturbation de notre train de vie, de notre confort habituel… En quoi tous ces éléments dus à la crise sanitaire actuelle et au confinement peuvent-ils constituer des facteurs de risques de perturbation du comportement humain et générateurs de peur, d'angoisse et de stress ? Pr Abdelkrim Messaoudi : Le stress est une réaction physiologique normale qui permet à l'individu de s'adapter aux situations nouvelles et aux événements de la vie. Il lui permet de se réorganiser et de fonctionner selon un climat social donné. Dans le contexte actuel de pandémie mondiale due au Covid-19 et qui touche aussi notre pays depuis quelques semaines, beaucoup de personnes présentent des symptômes de stress, à savoir une inquiétude permanente, des troubles du sommeil, angoisse et autres états anxieux… Des attitudes en relation avec ce danger permanent, invisible, et que l'on soupçonne présent partout. La manifestation clinique du stress, variable d'une personne à une autre, dépendra de plusieurs facteurs, notamment l'expérience individuelle, la présence d'antécédents de pathologies psychologiques ou bien de ce qu'on appelle la fragilité psychique qui caractérise certaines personnes. Les personnes vulnérables ont un risque élevé de présenter des manifestations cliniques importantes et des réactions pathologiques qui nécessiteront une prise en charge. A part le stress, quelles sont les pathologies qui peuvent survenir en pareille situation ? Pouvez-vous nous brosser un tableau clinique global des risques liés à la crise sanitaire et au confinement d'un point de vue psychique ? Les tableaux cliniques sont multiples et variables, allant de simples inquiétudes suscitées par la peur de mourir, de la contamination d'un proche ou de l'être soi-même, jusqu'aux symptômes, plus sérieux, comme des tableaux de crise d'angoisse massive, anxiété avec agitation, dépression et même des tableaux de troubles psychotiques. Il y a les symptômes qu'on peut rencontrer en population générale. Des manifestations cliniques chez des personnes ayant déjà présenté auparavant des troubles mentaux, des personnes vulnérables. Chez les personnes atteintes du Covid-19, il peut y avoir des symptômes et des tableaux cliniques neuropsychiatriques en plus, bien sûr, des symptômes principaux de la maladie. Bien que les coronavirus soient des virus essentiellement respiratoires, plusieurs recherches font état de leur capacité à infecter aussi le système nerveux central et à provoquer des troubles neurologiques, notamment des troubles de la vigilance (confusion, convulsion, somnolence). Ils sont considérés comme un critère de gravité. Pour la population en général et les gens sans pathologie préexistante, quels sont les risques liés au confinement ? En plus du stress lié à cette maladie, le confinement, qui représente une mesure préventive importante, peut être aussi une source de stress car tout simplement l'individu à la base fait partie d'une société où il trouve ses repères, il a un rôle social important à jouer. Le fait qu'il soit en confinement, l'individu court le risque de perdre son équilibre social et de voir son fonctionnement psychique perturbé. Il a été prouvé par des études récentes que même le fonctionnement cérébral peut être modifié. Y a-t-il d'autres profils à risques dus, éventuellement, à l'âge, aux conditions de la promiscuité imposée, à l'isolement social et à l'existence de fragilités antérieures sur le plan psychique ? Les facteurs de risques sont importants. Ils diffèrent d'une personne à une autre, d'une société à une autre. On peut citer l'isolement ou la solitude, les conflits familiaux, le niveau socioéconomique, notamment la précarité, les conditions de l'habitat (les cités urbaines présentent plus de stress). L'impact de ces facteurs environnementaux ou autres sur l'individu est très important, et la réaction à cette pression exercée par tous ces éléments perturbateurs dépendra des capacités adaptatives de chaque individu, de la vulnérabilité et des antécédents pathologiques et traumatiques de chaque personne. Par quoi peut-on expliquer certains comportements observés dernièrement dans certains villes et villages du pays, comme celui de stocker de la nourriture à outrance, faire la chaîne dans les magasins ou les marchés en ignorant les consignes sanitaires édictées (distance sociale)... ? Face à ce stress social, l'individu réagit par des comportements et des actions qui peuvent être, dans certaines situations, bénéfiques pour les personnes et pour la société, mais on assiste dans d'autres situations à des réactions néfastes. Ce sont des situations anxiogènes qui sont provoquées par le sentiment de ne pas être en sécurité et d'être menacé par cet ennemi invisible. Dans ce cas, certaines personnes manifestent de tels comportements dans le but de calmer leur angoisse. Nous observons souvent dans cette période imposée de la restriction d'activité une difficulté à gérer les émotions, de l'irritabilité, de la colère, parfois de l'agressivité, des phobies, une recrudescence des troubles du sommeil et de l'alimentation chez des personnes auparavant non concernées par ce genre de gênes. Il y a aussi une augmentation des comportements addictifs liés à la consommation d'alcool ou de tabac... Nous sommes dans une situation exceptionnelle qui a engendré une détresse et un stress social, et chaque fois que cette situation dure dans le temps, les personnes vulnérables ne pourront plus gérer cet événement ; une fois les capacités individuelles, pour y faire face, dépassées, certains troubles peuvent se manifester. Aussi, l'individu peut recourir à certaines conduites afin de calmer son angoisse comme la prise d'alcool, ou la consommation excessive de tabac, mais il faut savoir que cela peut aggraver sa situation. Comment gérer le stress pour éviter de générer des troubles plus importants, et que doit-on faire pour le rendre acceptable, selon que l'on soit adulte, adolescent ou enfant ? On doit s'adapter à cette situation en modifiant nos habitudes, en trouvant des occupations chez soi. L'être humain, grâce à son cerveau et ses facultés intellectuelles développées, est dotée de cette capacité d'adapter sa conduite en fonction des nouvelles situations. Le confinement est une occasion pour l'individu afin qu'il s'organise socialement, il doit prendre les choses du côté positif. Si on adapte notre comportement, nos cognitions et nos pensées vont s'adapter aussi. Si on n'y parvient pas, et en cas de troubles somatiques ou psychiques inhabituels et durables, si des comportements gênants deviennent plus intenses — addiction, agressivité… —, que faut-il faire, à qui demander de l'aide, puisqu'il y a rupture de la continuité de soins psychiatriques, et il n'y a pas de plateformes d'écoute ? Vous faites bien de poser cette question. La continuité de soins doit être assurée en permanence, malgré la situation sanitaire difficile et la mobilisation de la majorité des personnels et des capacités de soin disponibles pour la lutte contre ce mal planétaire du coronavirus. Il faut continuer à assurer les soins dans les services de psychiatrie ou en ambulatoire, c'est très important. Les troubles psychiques peuvent rendre plus difficiles la compréhension et l'application des gestes barrières et de la distanciation sociale, et les fragilités somatiques de cette population imposent une vigilance accrue de la part des soignants pour compenser ces difficultés. Il faut rester mobilisé pour protéger, soigner et accompagner nos patients souffrant de troubles psychologiques face à la pandémie du Covid-19. Ils sont souvent en situation d'isolement social, ils présentent des risques de rupture de soins et peuvent avoir des difficultés à respecter les consignes de confinement et à effectuer les gestes barrières. Le contexte anxiogène et le confinement en lui-même peuvent être une source de fragilisation de l'état psychique de la personne. La très grande majorité des personnes souffrant de troubles psychiatriques est prise en charge en ambulatoire. Une adaptation de l'organisation, visant à assurer la continuité des soins psychiatriques dans ce contexte de crise sanitaire, est essentielle. Deux situations sont possibles : les patients souffrant de troubles sévères et les patients qui ne disposent pas de soutien social et familial doivent être hospitalisés durant cette période de pandémie, en leur garantissant toutes les mesures de sécurité et de protection contre la contamination. Les patients errants sont aussi des sujets exposés à des risques importants. Il est de notre devoir de les prendre en charge, une structure doit être réservée afin de les accueillir et les prendre en charge. Pour les patients bien stabilisés, suivis en ambulatoire, nous devons leur faire comprendre, grâce au lien de confiance, qu'ils doivent rester chez eux, se laver régulièrement les mains, éternuer dans leur coude, ou rester à plus d'un mètre des personnes lorsqu'ils sortent dans la rue pour s'approvisionner. La famille aussi doit jouer un rôle important pour veiller à l'application de ces consignes. L'accent doit être mis sur le maintien et le renforcement de l'offre de soins ambulatoires en privilégiant le recours aux prises en charge à distance, tout en maintenant la possibilité de consultations en structures de prise en charge ambulatoire ou en cabinet libéral. Rester vigilant quant au suivi somatique (en incluant l'évaluation régulière d'éventuels symptômes du Covid-19), et au contexte social et familial du patient. Faciliter l'accès des patients à leur traitement pour éviter les hospitalisations en urgence et prévenir notamment les rechutes de pathologies chroniques. L'accueil téléphonique doit être réservé aux personnes en situation de détresse psychique. Il peut apporter un soutien psychologique considérable. Pour finir, quels sont les risques encourus au moment du déconfinement et du retour à une vie plus normale (situation post-traumatique) ? Le nombre de consultations en psychiatrie va augmenter certainement selon plusieurs indices. Il y a le stress de la population en général qui peut engendrer des situations sérieuse chez certaines personnes. Il y a aussi les personnes souffrant déjà de pathologies mentales, elles peuvent être déstabilisées et seront exposées à des rechutes de leur symptomatologie initiale. Sans oublier aussi une chose très importante qui concerne les personnes atteintes du Covid-19 : il elles doivent être soutenues psychologiquement. Il y a déjà certaines personnes qui ont présenté des symptômes de détresse psychologique, d'angoisse massive, de dépression. S. A. M.