La Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (aile, Me Zehouane) établit un constat pour le moins difficile de la situation des droits de l'Homme en Algérie. Dans son rapport annuel rendu public à l'occasion de la déclaration universelle des droits de l'Homme, la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (Laddh) évoque une "violation continue" des droits des citoyens et un "recours abusif" à la détention préventive. "Le pouvoir a profité de la crise, des mesures de confinement et des restrictions en raison de la pandémie de Covid-19 pour procéder à des arrestations ciblées des activistes pensant ainsi briser le Hirak. Cette gestion n'a fait qu'exacerber la méfiance faisant croire même à certains que la Covid-19 est une invention du pouvoir pour casser le Hirak", note le rapport dont nous détenons une copie. La Laddh rappelle qu'au début de l'année 2020, "au moins 180 manifestants, militants ou journalistes ont été placés en détention provisoire, essentiellement pour avoir brandi les emblèmes berbères, pour des écrits sur les réseaux sociaux ou pour avoir participé aux marches du Hirak. Beaucoup ont été condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement et à des amendes aux montants exorbitants". Les ex-détenus, précise cette Ligue des droits de l'Homme, revendiquent leur réhabilitation, alors qu'il reste actuellement encore dans les geôles 95 prisonniers d'opinion. Le rapport note également que plusieurs journalistes ont été poursuivis et emprisonnés alors que le délit de presse a été abrogé par la loi fondamentale de 2016. Dans ce document, on considère, en outre, que la pandémie de coronavirus a eu un impact "violent" sur l'économie et le quotidien des Algériens. "Si au double plan social et économique, la situation de l'Algérie n'est pas enviable, elle ne fait guère mieux en matière de liberté de culte et de respect des droits humains et de liberté de conscience. Pour rappel, l'Algérie a été classée à la 42e place des pays où les personnes de confession chrétienne sont les plus persécutées dans le monde, selon le rapport 2018", fait remarquer la Laddh qui cite le cas de Yacine Mébarki accusé "d'offense à l'islam" et condamné en appel à un an de prison et à une amende de 50 000 DA. La situation des femmes n'est pas plus reluisante, estime l'organisation dont le vice-président est Saïd Salhi. "Ces deux dernières années, les violences faites aux femmes se sont multipliées dangereusement, surtout dans le contexte du confinement lié à la Covid-19, avec, notamment, une augmentation des cas de féminicide. il y a quelques années, un sujet tabou. Ainsi, on a l'impression qu'il y a une augmentation des violences faites aux femmes parce que nous en parlons plus aujourd'hui". Les causes de cette violence sont directement liées, pense-t-on, au statut de la femme et à sa condition politico-juridique. "Tant que le code de la famille continuera de régir le fonctionnement de la famille en consacrant la discrimination, l'inégalité entre l'homme et la femme, la suprématie et la domination masculine — en totale contradiction avec les textes de la Constitution qui, elle, consacre l'égalité citoyenne et la non-discrimination notamment basée sur le sexe —, les femmes continueront de subir la violence sous toutes ses formes, c'est l'avis de beaucoup de militantes, un avis partagé par la Laddh". Rappelant sa position constante contre la peine de mort, la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme, se dit consciente qu'une bonne partie de la population est favorable à son application dans les cas de crimes contre les enfants. "Il est vrai, reconnaît-on dans ce rapport, que depuis 1993, aucune exécution n'a eu lieu. Seulement, les condamnés à mort — dont certains sont âgés de 90 ans et plus — sont toujours regroupés dans les couloirs de la mort. Si l'on veut rendre effective l'abolition de la peine de mort, qu'on leur change de régime, qu'on les fasse bénéficier du statut de la réclusion criminelle. Leurs familles réclament la grâce présidentielle vu leur âge et le fait qu'ils n'aient pas les mains tachées de sang." Mettre les autorités devant leurs responsabilités Face à cette situation critique et au constat de régression établi qui ne manquent pas de susciter des critiques à travers le monde, l'ONG préconise l'organisation d'un débat national sur les droits de l'Homme. À travers cette démarche, elle souhaite "mettre les autorités devant leurs responsabilités face à la multiplication des arrestations d'acteurs politiques du Hirak, de blogueurs, de journalistes ou même de personnes, qui commentent l'actualité nationale sur les réseaux sociaux, la fermeture de sites d'informations (TSA, Maghreb Emergent, Radio M., etc.), de blogs, ainsi que l'interdiction de toutes activités, politiques et associatives, depuis le mois de décembre 2019". "Les membres de la Laddh étaient loin de penser devoir présenter un rapport sur les droits de l'Homme aussi désavantageux pour le peuple algérien qui a suscité l'admiration du monde entier à travers ses fortes mobilisations pacifiques depuis le 22 février 2019", déplore la Laddh. Selon elle, en imposant sa feuille de route, notamment à travers la tenue d'un référendum sur la nouvelle Constitution, largement boycotté, "le régime espère que les militants des droits humains, les acteurs sociaux et politiques et globalement la majorité des Algériens seront gagnés par la lassitude, le pessimisme et l'usure. Si le régime continue de ne pas respecter les droits de l'Homme, il aura ainsi fait le choix du chaos qu'il assumera devant l'histoire". Commentant la récente résolution sur les atteintes aux droits de l'Homme et les libertés adoptée par le Parlement européen, la Laddh rappelle qu'elle n'a pas attendu une prise de position internationale pour "dire une situation que nous ne cessons de dénoncer nous-mêmes chaque jour. Après un Hirak pacifique et exemplaire de plus de 20 mois, qui a mis les droits humains au centre du combat pour la dignité et la liberté, la situation a régressé". "Toutes les options futures, qui ne sont pas à l'écoute des aspirations réelles du peuple algérien pour le changement authentique, qui ne prennent pas en compte les expériences antérieures, notamment celles qui ont déjà échoué et qui ne comptent pas avec le Hirak, comme interlocuteur et partie prenante de la solution, seront, encore une fois, vouées à l'échec. Le pouvoir est entre deux choix : sauver le système ou sauver le pays", souligne-t-elle. Par ailleurs, abordant la programmation d'une cascade de procès d'anciens hauts responsables, la Laddh estime que les audiences ont révélé l'ampleur de la corruption, sans convaincre l'opinion publique. "Au cours de ces procès, sur lesquels planait l'ombre de Bouteflika, des accusés ont regretté l'absence du président déchu — impotent et reclus — et de son frère Saïd , l'ex-influent conseiller, détenu pour complot contre l'autorité de l'armée et de l'Etat", observe-t-on dans ce rapport.