Olivier Le Cour Grandmaison, historien : "Ce rapport comporte certaines propositions concrètes, mais il demeure en deçà de ce qu'on aurait pu attendre sur deux points essentiels, au moins. Le premier concerne l'accès aux archives. Le rapport recommande d'appliquer la loi de 2008, mais il reste muet sur les dispositions actuelles qui entravent l'accès aux archives. Ce qui constitue une atteinte particulièrement grave à la liberté de la recherche. Le rapport est également très en deçà de ce qu'on aurait pu attendre concernant la reconnaissance des crimes coloniaux. En effet, Benjamin Stora, conformément sans doute aux attentes du chef de l'Etat, s'abstient de demander la reconnaissance des crimes coloniaux commis par la France en Algérie, non seulement au cours de la dernière guerre (1954-1962), mais aussi tout au long de la conquête et de la colonisation sanglantes du territoire algérien. Plus singulier, Benjamin Stora les euphémise sinistrement en les qualifiant d'exactions. Une recherche consacrée au vocabulaire employé dans ce rapport permet de montrer que la qualification de ‘crime de guerre' n'est jamais employée. De ce point de vue, le Benjamin Stora devenu conseiller de l'actuel président de la République oublie le Benjamin Stora historien qui sait pertinemment que la torture, les disparitions forcées, les déportations imposées à des millions de civils algériens au cours de la guerre peuvent être qualifiées de crimes de guerre, voire de crimes contre l'humanité. De même, qualifier les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris de répression, sans plus de précision, est parfaitement inadéquat eu égard à l'ampleur de ce qui a été perpétré alors par les forces de l'ordre agissant sous l'autorité du préfet de police, Maurice Papon. Enfin, sans reconnaissance officielle, claire, précise et circonstanciée de ces crimes coloniaux, la réconciliation tant vantée restera un vœu pieux. Quant aux descendants des victimes, qu'ils soient Français ou Algériens, ils seront toujours en butte à des discriminations mémorielles et commémorielles inacceptables. Emmanuel Macron, candidat, avait déclaré que ‘la colonisation [était] un crime contre l'humanité'. Emmanuel Macron, chef de l'Etat, doit désormais le dire haut et fort à l'occasion des différentes commémorations qui s'annoncent." Patrice Reciputi, enseignant d'histoire et co-fondateur du site 1000 autres.org : l "L'exercice qui a été demandé à Benjamin Stora est compliqué. Ses propositions sont néanmoins intéressantes. Il préconise par exemple que l'Etat français reconnaisse sa responsabilité dans l'assassinat de l'avocat Ali Boumendjel. Cela est à mon avis très important. J'aurais souhaité, cependant, que cette demande de reconnaissance soit élargie à toutes les autres victimes des disparitions et des assassinats. Mais on comprend bien que le président Macron ne veut pas aller plus loin, par crainte d'être accusé de promouvoir ce que la droite et l'extrême droite appellent la repentance. Quand on entend le discours politique actuellement avec un Premier ministre qui parle d'autoflagellation en évoquant le colonialisme et un ministre de l'Education qui accuse les universitaires spécialisés dans la recherche sur le colonialisme d'être des séparatistes, on se rend compte que le gouvernement français n'est pas prêt du tout à regarder les choses telles qu'elles sont. Le président de la République va faire son marché dans le rapport de Benjamin Stora en fonction de ses intérêts politiques et électoraux, et il va choisir des propositions qui ne vont pas le mettre en danger politiquement." Pierre Mansat, président de l'Association Josette et Maurice-Audin : "Le rapport me paraît tout à fait raisonnable. Il comporte des propositions concrètes qui devront permettre d'avancer de manière sérieuse et d'ouvrir des champs de réflexion entre l'Algérie et la France. Même si le rapport est adressé au président Emmanuel Macron, il faudrait, néanmoins, qu'il fasse écho dans la société française et en Algérie, et qu'il aboutisse à des actions concrètes. Le rapport de Stora pourrait avoir, toutefois, un aspect assez vain si, par exemple, les historiens n'ont pas accès aux archives comme c'est le cas actuellement avec le raidissement de la législation dans ce domaine en France." Pierre Audin, fils de Maurice Audin : "Le rapport préconise la réconciliation des mémoires. Il est évident qu'il faut regarder l'histoire en face et solder le passé pour repartir sur de bonnes bases. Mais pour que cela soit possible, il faut aussi tenir compte du présent. La France qui souhaite entretenir de bonnes relations avec l'Algérie ne peut pas utiliser sa politique des visas pour repousser les Algériens ou fermer les yeux sur la répression actuelle de militants politiques et de journalistes."