Le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, a annoncé l'ouverture d'une enquête judiciaire par le tribunal de Sidi M'hamed, afin de faire toute la lumière sur l'opération d'acquisition d'un matériel défectueux. Une nouvelle affaire qui vient aggraver le dossier judiciaire de l'ancien garde des Sceaux. L'Etat vient de suspendre l'utilisation des bracelets électroniques de surveillance à distance des détenus qui se sont avérés défectueux. L'affaire est en instruction au niveau du pôle financier et économique du tribunal de Sidi M'hamed. Il s'agit d'une histoire tentaculaire que l'on a souvent croisée dans le bilan de vingt ans de règne de l'ex-président de la République Abdelaziz Bouteflika. Après des soupçons judiciaires sur une dilapidation de deniers publics lors de la conclusion du marché pour l'acquisition des bracelets électroniques et dont l'instruction est toujours en cours, le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, confirme que ce marché, s'est avéré, en outre, une véritable arnaque. Lors d'une séance plénière de l'Assemblée nationale consacrée, ce jeudi, aux questions orales, le garde des Sceaux a précisé que la justice s'attelle à élucider "cette opération d'acquisition ayant coûté au Trésor public des fonds colossaux en devises. Nous fondions de grands espoirs sur l'utilisation du bracelet électronique, mais ces espoirs se sont évanouis après avoir constataté des problèmes techniques empêchant la mise en œuvre de ce dispositif". L'Etat avait dégagé entre 2016 et 2017 une enveloppe de près de 100 millions de dollars pour importer ces bracelets électroniques dans l'optique de leur lancement expérimental comme alternative à l'emprisonnement de certains prévenus. L'Algérie devient ainsi le premier pays maghrébin à recourir à un tel dispositif. Il s'est avéré par la suite que l'équipement ne répondait pas aux normes internationales. Ce qui a conduit à l'inculpation de Tayeb Louh pour conclusion de "marchés douteux et d'octroi d'indus avantages". Ce système de surveillance électronique présenté comme l'élément phare de la réforme judiciaire prônée par l'ancien ministre de la Justice avait pour objectif de diminuer le surpeuplement en milieu carcéral et de réduire les dépenses destinées à l'administration pénitentiaire. L'opération a été lancée le 1er mars 2018, à partir de Blida et a donné lieu à la pose du bracelet à quatre détenus, dans l'attente de la généralisation progressive de l'opération aux autres wilayas du pays. Et puis l'affaire a été étouffée. Pas un mot sur les défaillances constatées dans ce système alternatif à la détention. Mais dans la foulée des enquêtes judiciaires sur la corruption enclenchées après la démission le 2 avril 2019 d'Abdelaziz Bouteflika, la Cour suprême se saisit du dossier, fin décembre, et le transfert à la mi-2020 au tribunal de Sidi M'hamed. La première phase de l'instruction aboutira à l'inculpation de l'ex-ministre de la Justice Tayeb Louh déjà en détention, et aussi à l'arrestation du directeur chargé à l'époque de la modernisation au ministère de la Justice, à qui il est reproché des failles dans le contrôle de la conformité des achats engagés dans le cadre de cette opération. Selon les premiers éléments de l'enquête judiciaire, l'affaire concerne une transaction ordonnée par l'ancien ministre de la Justice pour l'acquisition de 1 000 bracelets de surveillance électronique, à 1 000 dollars l'unité. Louh avait été, dès août 2019, entendu par l'Office central de répression de la corruption, concernant les conditions d'attribution de ce marché. L'ex-ministre de la Justice est donc confronté à cette deuxième affaire, après celle de ses interférences dans les dossiers judiciaires basées sur les SMS trouvés sur ses sept téléphones mobiles, récupérés lors de la perquisition à son domicile. De ce fait, il est poursuivi pour "abus de fonction, partialité, faux et usage de faux, falsification de documents officiels et influence sur les décisions de justice" aux côtés de Saïd Bouteflika, de l'ancien ministre de l'Energie, son épouse et les deux hommes d'affaires Ali Haddad et Mahieddine Tahkout. Lors de son audition par le juge d'instruction fin janvier dernier, Saïd Bouteflika avait reconnu avoir servi d'intermédiaire entre l'ex-garde des Sceaux et le président Abdelaziz Bouteflika. L'intervention visait à annuler les mandats d'arrêts internationaux émis au mois d'août 2013 contre Chakib Khelil et sa famille. Dans ce sillage, toutes les poursuites engagées contre l'ex-ministre de l'Energie, son épouse Najat Arafat Khelil, ainsi que leurs deux enfants ont été annulées. L'enquête judiciaire fait état de l'existence de véritables réseaux chargés d'orienter le cours de certains dossiers, en exerçant des pressions sur des magistrats dont certains ont témoigné durant l'instruction contre leur ancien ministre. Confronté aux SMS envoyés à Tayeb Louh entre 2013 et 2019, Saïd Bouteflika a soutenu devant le juge d'instruction qu'un des messages qui lui a été envoyé par Ali Haddad a été transmis à Tayeb Louh sans qu'il soit édifié de sa teneur. Il reconnaît aussi avoir demandé à l'ex-ministre de la Justice de se pencher sur le dossier du frère d'un ami, détenu pour non-paiement de la pension alimentaire à son ex-épouse. Le numéro de l'affaire lui a été envoyé par SMS et il l'a, à nouveau, transmis tel quel à Tayeb Louh. "Je les transférais sans les lire", se justifie Saïd Bouteflika. Les investigations menées autour des réseaux de l'ancien ministre de la Justice révèlent, également, l'absence de suites aux plaintes déposées par cinq juges ayant subi des pressions pour intervenir en faveur des hommes d'affaires. À l'exemple d'une magistrate qui témoigne avoir été instruite de trancher en faveur d'Ali Haddad dans une affaire l'opposant au président du club de l'USMA d'Alger Saïd Allik. Une autre est mutée à Chlef pour avoir débouté l'homme d'affaires Mahieddine Tahkout face à la SNVI, puis Sonacome. L'ex-garde des Sceaux aurait agi de même au profit des frères Kouninef. Son intervention consistait à assainir les contentieux liés au foncier et obtenir les décisions de justice en leur faveur. Selon le dossier judiciaire, plusieurs magistrats qui présidaient des commissions électorales auraient été aussi mis sous pression par des directives de Louh pour changer le cours du scrutin au profit du FLN.