Les Algériens, qui ont réussi à mettre fin au règne d'Abdelaziz Bouteflika, à secouer profondément un système politique en fin de parcours, ont réalisé presque un miracle le 22 Février 2019. Deux ans après, ils estiment que leur révolution n'a pas encore abouti. D'ampleur inédite, le mouvement populaire, dont l'irruption en février 2019 pour chasser le président déchu, Abdelaziz Bouteflika, avait ébahi le monde, célèbre aujourd'hui son second anniversaire. Même effacé physiquement depuis l'apparition de l'épidémie de coronavirus en mars 2020 avec la suspension des marches populaires, il continue, cependant, à rythmer la vie politique, l'imaginaire national et à influer sur les décisions, les orientations et les conceptions de solutions à l'impasse aussi bien aux autorités politiques qu'à l'opposition ou encore aux partis et à la société civile. Aujourd'hui encore, à l'occasion de la célébration de l'anniversaire de ce soulèvement inédit qui a chassé du pouvoir Abdelaziz Bouteflika, observateurs et analystes se livrent à une spéculation sur un retour ou non de ce mouvement aux manifestations de rue et dans quelle mesure ? L'interrogation est d'autant plus pertinente qu'aux yeux de certains, les revendications essentielles du Hirak, comme l'indépendance de la justice, l'Etat de droit, la libération du champ politique et médiatique ou encore l'avènement d'un "Etat civil", et qui peuvent être résumées dans la formule de "changement de système", n'ont pas été satisfaites. Aidé sans doute par le providentiel virus, le régime a tôt fait de renforcer l'arsenal juridique en modifiant le code pénal pour mater davantage les activistes particulièrement sur les réseaux sociaux. Résultat : plusieurs activistes seront arrêtés et emprisonnés. Parallèlement, il lance le chantier de la réforme constitutionnelle destinée prétendument à répondre aux doléances du Hirak. Confiée à un panel d'experts qu'il a lui-même choisi, sans débat et soumis à un référendum populaire, le texte sera rejeté massivement par la population. Moins d'un quart des électeurs — essentiellement comptables sur les partis et autres associations qui gravitent à la périphérie du pouvoir — ont voté pour le texte, selon les chiffres officiels. Mais ce fiasco ne va pas dissuader le pouvoir de maintenir sa "feuille de route" qu'il espère mener à bon port en dépit des critiques de l'opposition et malgré les propositions formulées par des personnalités et autres dynamiques de la société civile auxquelles il a opposé une fin de non-recevoir. Alors que des schismes et des divisions, particulièrement idéologiques, alimentés par des officines, sont apparus au sein du Hirak, du moins sur les réseaux sociaux, le pouvoir, toujours hanté par la reprise des manifestations dont la crise sociale et économique peuvent jouer comme nouveau catalyseur, s'est empressé, avec la proximité de l'anniversaire, de jouer la carte de l'apaisement et de tenter de donner des gages de sa volonté à réformer les institutions en tentant d'extraire la politique à la rue. Réussira-t-il son pari ? Difficile de se hasarder aux spéculations car l'impasse est toujours là. D'un côté, un régime sans base politique et sociale, englué dans ses contradictions internes, privé de la rente susceptible d'entretenir sa clientèle et réfractaire au changement, comme en témoignent la diabolisation du mouvement et son refus à poser la question sensible de la place de l'armée et de la "négociation", et, de l'autre côté, un mouvement populaire aussi confronté au problème de la représentativité et de l'organisation, mais dont l'esprit d'opposition au régime demeure. Entre les deux, une crise de confiance aiguë que seules des décisions audacieuses peuvent concourir à son rétablissement. D'où ce sentiment étrange d'un blocage général, d'une situation figée en apparence, mais avec des dynamiques sociales en sourdine.