Liberté : Le prochain numéro d'Insaniyat est consacré à la révolution du 22 Février 2019. Deux ans après son déclenchement, où en est le Hirak ?Amar Mohand-Amer : La reprise des marches le 22 février 2021 informe sur la force et la vitalité du Hirak. Ni la pandémie de Covid-19 ni les différentes et nombreuses tentatives de l'étouffer ou de l'affaiblir n'ont réussi. Cependant, il est primordial, à mon avis, de repenser cette dynamique politique et sociale à l'aune de deux années de lutte citoyenne, de débats, mais, également, d'insuffisances. Il faudrait capitaliser ces acquis majeurs que le Hirak a autorisés. Au Crasc, vous avez fait le choix de prendre le temps nécessaire pour étudier et comprendre ce mouvement populaire inédit. Quels ont été, selon vous, les ressorts de cette dynamique politique et sociale ? Nous avons misé dans ce numéro d'Insaniyat sur les travaux de terrain, les échanges avec les contributeurs, des disputes et débats quand il s'est agi de certains points qui pouvaient susciter d'inutiles polémiques. En fait, la difficulté dans ce genre de thématiques est de tenir la distance avec l'objet, en l'occurrence le Hirak. Le numéro aborde des questions fondamentales, à mon avis, pour l'intelligible de ce formidable mouvement pacifique et populaire, à l'instar de l'histoire dans la durée, des confrontations ou oppositions idéologiques que le Hirak a mises en exergue, des différentes expressions usitées au cours des marches, de la reconnaissance comme revendication politique et symbolique, de la Constitution et son rapport avec le droit et la légitimité, etc. On trouve aussi dans ce numéro divisé en deux tomes des articles sur les catégories sociales que le Hirak a mises sur le devant de la scène, le discours de ceux qui le critiquent, etc. Quels premiers enseignements les chercheurs-contributeurs ont-ils pu tirer de l'étude de cette révolution en tant que mouvement social ? Je pense que ces articles participent à cet extraordinaire engouement scientifique et éditorial pour le Hirak. Les deux tomes du numéro ouvrent des perspectives, contribuent à ce que ce mouvement soit analysé à partir de recherches qui ont pris le temps de la maturité. C'est sûrement une des qualités de cette publication : résister à la pression du temps et de l'événement et offrir aux lecteurs une ébauche le plus près possible de la réalité. Il est bien entendu que ce ne sont que des pistes sérieusement travaillées balisant une recherche que le comité de rédaction d'Insaniyat a inscrite dans le continuum des travaux déjà réalisés par le CRASC sur les mouvements sociaux. Le Hirak, et c'est ma conviction, est parti pour durer. Vous notez dans votre éditorial que vous posez, finalement, plus de questions que vous n'apportez de réponses. Quelles interrogations sont restées en suspens ? Oui, l'éditorial est clair. Le Hirak reste un objet insuffisamment étudié ou intelligible, malgré la profusion des travaux et articles qui lui sont consacrés. Sa durée, son caractère pacifique, ses répertoires d'action, la multitude des acteurs et d'autres éléments et objets font que les études sur le Hirak ne sont qu'à un stade préliminaire. Ce mouvement est dans le flux et l'action, il s'adapte. Ces situations appellent d'autres analyses et recherches.