La condamnation de Djabelkhir pour des opinions exprimées a créé une énorme onde de choc dans la société. Elle fait peser de grandes inquiétudes quant au respect de la liberté de conscience et de pensée. L'islamologue Saïd Djabelkhir a été condamné, jeudi, par le tribunal de Sidi M'hamed à trois de prison ferme assortie de 50 000 DA d'amende ferme. Saïd Djabelkhir était poursuivi par un enseignant universitaire, spécialisé en informatique, sur ses écrits sur les réseaux sociaux, où l'islamologue traite de sujets qui relèvent exclusivement de sa spécialité, soit la religion musulmane. Le plaignant estimait que les écrits de l'islamologue "le touchaient dans son amour propre". Le plaignant et ses avocats ont qualifié les écrits de Djabelkhir et ses réflexions sur la religion de "danger" qui pourrait "influencer" la société, puisque, ont-ils justifié, "Djabelkhir est très suivi sur les réseaux sociaux". Le prévenu est ainsi condamné en vertu de l'article 144 bis 2 du code pénal. Il est accusé de "moquerie à l'égard des sciences de la religion et des rites islamiques". L'article 144 bis 2 stipule que "quiconque offense le prophète, les envoyés de Dieu, le dogme ou les préceptes de l'islam" est passible de 3 à 5 ans de prison ou d'une amende allant de 50 000 à 100 000 DA. Cette accusation concerne tout écrit, dessin, déclaration ou tout autre moyen à travers lequel ce qui est qualifié d'offense est exprimé. Devant le tribunal, les avocats et les citoyens venus assister au prononcé du verdict ont été stupéfaits par la sentence. Ebahis par une telle décision, les présents ne s'attendaient, visiblement, pas à une telle condamnation. "C'est de l'inquisition", ont dénoncé des citoyens, pour lesquels, ce jugement "cache mal une volonté d'en finir avec un esprit libre et libéré". Pour les avocats de Saïd Djabelkhir, le verdict "est un choc". Me Ouahab Hamidi a estimé que la décision de la justice "a choqué" le collectif d'avocats, parce que, a-t-il enchaîné, "nous nous attendions au minimum à un non-lieu, au mieux à une incompétence du tribunal". "Le dossier était vide", a-t-il ajouté, précisant que les avocats "ont fait le nécessaire pour déconstruire la requête et l'incompétence des gens l'ont déposé". Me Hamidi a rappelé que le représentant du ministère public n'avait rien requis contre l'accusé, juste une demande d'application de la loi. Il a informé qu'un appel du jugement sera interjeté dimanche prochain. Me Fetta Sadat, ancienne parlementaire, a estimé, quant à elle, que ce qui est "surprenant en la matière, c'est le fait que le procureur de la République qui diligente l'action publique se soit limité à requérir l'application de la loi". "C'est une décision surprenante et inquiétante", a-t-elle souligné, ajoutant que la sentence "est une atteinte, d'une part, à la liberté d'expression, à la liberté de penser, mais aussi à une atteinte aux droits et libertés qui sont de plus en plus en danger". Me Sadat a indiqué que "lorsque la justice, qui est censée garantir les droits et les libertés citoyennes condamne un érudit, cela nous inquiète". "Nous sommes inquiets pour l'avenir du pays et pour le principe même de la citoyenneté", a ajouté l'avocate, qualifiant cela "de nouveau pas franchi dans l'inquisition". "C'est une chasse aux sorcières", s'est indignée l'avocate, appelant à l'abolition de toutes les lois liberticides contenues dans le code pénal, entre autres, l'article 144 bis, sur la base duquel, Saïd Djabelkhir est condamné. Les réactions au verdict, mais aussi de soutien et de solidarité avec l'accusé se sont multipliées dès le prononcé de la sentence. Lahouari Addi, sociologue, a estimé que "l'universitaire, qui a porté plainte contre Saïd Djabelkhir, aurait dû l'inviter à l'université de Sidi Bel-Abbès pour un échange contradictoire devant la communauté universitaire. S'il faut réfuter Saïd Djabelkhir, c'est par le débat académique et non par le tribunal. La liberté académique et la liberté de conscience sont en dehors des domaines du tribunal que l'Etat charge de protéger l'ordre public et la liberté des citoyens. Saïd Djabelkhir n'a porté atteinte ni à l'ordre public ni à la liberté de celui qui a porté plainte contre lui", ajoutant que "le tribunal qui a condamné Saïd Djabelkhir aurait dû déclarer son incompétence à se prononcer sur une affaire relevant de la conscience religieuse pour une raison très simple : le rapport à Dieu n'est pas d'ordre juridique". Condamnation unanime Lahouari Addi a, par ailleurs, appelé, en vertu du respect de la Constitution et de la liberté académique qu'elle protège, "le tribunal à innocenter en appel Saïd Djabelkhir qui n'a commis aucun délit". Le professeur Ghaleb Bencheikh a également réagi à la condamnation de Saïd Djabelkhir. Il a estimé, dans un message rendu public, que "ce qui se passe est un scandale". "On ne peut pas criminaliser le débat d'idées. C'est une atteinte grave à la liberté de conscience et à la recherche académique. Cette affaire dénote un archaïsme de la pensée que je dénonce", a-t-il écrit. Ghaleb Bencheikh, tout en réaffirmant son soutien à Saïd Djabelkhir, a ajouté que ce qui lui arrive "est tout simplement inacceptable". "La liberté de conscience est bafouée et le débat d'idées est judiciarisé", s'est-il révolté, considérant que "tout cela relève de l'archaïsme". "J'espère vivement qu'on reviendra à la raison lors du procès en appel. Il faut que la justice algérienne soit digne. On s'est assez donné en spectacle", a regretté l'islamologue. En réaction au verdict, Amnesty International a estimé qu'"il est scandaleux que Saïd Djabelkhir soit condamné à trois ans de prison simplement pour avoir exprimé son opinion sur des textes religieux". "Punir quelqu'un pour son analyse des doctrines religieuses est une violation flagrante des droits à la liberté d'expression et à la liberté de religion, même si les commentaires sont jugés offensants par d'autres", a déclaré, en effet, Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à l'ONG. Sur les réseaux sociaux, la condamnation de l'islamologue Saïd Djabelkhir a fait réagir la blogosphère qui a condamné "une décision honteuse". Les lectures du verdict allaient bon train. "C'est un clin d'œil aux extrémistes islamistes, seuls à apporter leur soutien à l'agenda électoral du pouvoir", estiment des militants sur les réseaux sociaux. D'autres appellent à "la mobilisation", pour défendre "la liberté de conscience". "Le champ des libertés se rétrécit dangereusement. Il faut se mobiliser pour le défendre", ont partagé d'autres internautes, qui ont réaffirmé leur "soutien" et "solidarité" avec Saïd Djabelkhir.
Mohamed MOULOUDJ "Je vais continuer à me battre" Interrogé sur la décision de la justice le condamnant à 3 ans de prison ferme, l'islamologue Saïd Djabelkhir a souligné qu'il ne s'attendait surtout pas à un tel verdict. "Je ne m'y attendais pas", toutefois, a-t-il dit, "on ira vers la cassation". "Je n'ai surtout pas l'intention de baisser les bras", a ajouté M. Djabelkhir, estimant que ce combat "doit être mené". "Je vais continuer à me battre coûte que coûte", a-t-il tranché, ajoutant qu'il s'agit "d'un combat pour la liberté de conscience, pour la liberté d'opinion et d'expression" qui sont "des droits indéniables", qui plus est "constitutionnels et garantis par la loi fondamentale". "J'irai là où il faut aller avec mes avocats pour user de tout l'arsenal juridique pour mener ce combat", a encore dit l'islamologue.