Le verdict est mis en délibéré pour le 22 avril, alors que le procureur a requis l'application de la loi contre l'accusé. Le procès de l'islamologue, Saïd Djabelkhir, s'est ouvert, jeudi, au tribunal de Sidi M'hamed d'Alger. Houleux. Prises de bec, échanges parfois vifs entre la défense et la juge, puis entre le prévenu et les plaignants ont émaillé un procès pas comme les autres puisqu'il s'agit d'une plainte de citoyens, dont un diplômé en informatique contre un islamologue pour son opinion exprimée sur les réseaux sociaux. Les avocats de la défense ont tenté, dès l'ouverture du procès, de déconstruire l'objet de la plainte en contestant la qualité du plaignant à cet enseignant de l'Université de Sidi Bel-Abbès qui a saisi la justice contre les "écrits" de Djabelkhir, car, a-t-il justifié, "ils me touchent dans mon amour-propre". Même la juge s'est emportée à plusieurs reprises, surtout lorsque la défense a contesté les questions qu'elle posait au prévenu. "Je ne m'en tiens qu'à la loi", a-t-elle dit, ajoutant qu'elle veut "éviter un quelconque échange sur la religion". En réponse aux questions de la juge, Saïd Djabelkhir, serein, a expliqué que ses écrits sur les réseaux sociaux, comme ses interventions dans les médias "expriment une opinion et les résultats de recherches et d'études sur les livres de la tradition prophétique". La juge a rappelé à l'accusé qu'il s'en était pris à des rituels connus et reconnus dans l'islam qu'il a qualifiés de "paganisme". Saïd Djabelkhir a insisté sur le fait que ce qu'il avait écrit "n'était qu'une synthèse de recherche à travers laquelle il a fait référence à plusieurs savants de l'islam". Interrogé sur sa réaction à ceux qui ont qualifié Yennayer (jour de l'an amazigh) de fête païenne, Saïd Djabelkhir a expliqué qu'en réponse aux réactions sur sa page Facebook, il a évoqué ce genre de traditions dans les sociétés musulmanes. Même si la juge a insisté pour éviter tout débat sur la religion, il était difficile de s'en tenir à ce souhait car les orientations de l'accusé s'opposent à celles du plaignant. Ce "fossé" idéologique qui sépare les deux hommes était perceptible, mais aussi sensible, puisque l'un considère que l'homme "est doté d'un cerveau pour réfléchir" et l'autre met en avant "la sacralité" de la religion, autrement dit, la non-remise en cause des textes et des pratiques prophétiques. Dans tout ce débat, seul le volet politique de la plainte domine. Même au regard de la loi — l'article 144 bis sollicité pour confondre Djabelkhir —, les avocats de la défense ont mis l'accent sur la prédominance de la liberté sur toute autre considération. De ce fait, Mes Saheb Hakim, Cherbal Seïf El-Islam, Zoubida Assoul et les autres membres du collectif de défense de Djabelkhir, contrairement aux avocats du plaignant, ont fait référence dans leurs plaidoiries à des articles de loi qui garantissent la libre pensée. Complexer le prévenu Le procès était tendu dès son entame. Il l'était d'autant plus que les avocats du plaignant ont recouru à la violence verbale contre l'accusé. Tout en tentant d'expliquer que le plaignant "n'est pas un militant islamiste", ils ont attaqué Saïd Djabelkhir qu'ils accusent également d'être à la solde de forces étrangères. "Les idées qu'il répand affecteront à long terme notre société car elles sont dangereuses", tentaient-ils de convaincre. Pour eux, Djabelkhir répand "le mensonge" comme l'a fait l'école à travers "des manuels scolaires copiés de pays étrangers". "Ils nous ont appris que nos pères étaient au marché et nos mères au jardin, et aujourd'hui, la femme a déserté la maison et traîne dans les rues", ont-ils avancé. De son côté, Djabelkhir a dénoncé le fait que "certaines de ses publications ont été sorties de leur contexte et manipulées à des fins de propagande contre lui". "Certaines de mes publications qui n'ont aucun lien avec l'objet de la plainte ont été évoquées à charge contre moi", a-t-il encore dit devant la juge. Un procès en cache un autre Indépendamment des faits qui se sont déroulés devant la juge, d'autres observateurs ont donné au procès un prolongement politique. En effet, les citoyens présents au tribunal de Sidi M'hamed portent tous un projet. Si du côté des plaignants, l'orientation idéologique ne cache plus l'objectif de la plainte, les soutiens de Djabelkhir soutiennent l'exact contraire. Dans les couloirs du tribunal, les débats tournaient autour de la liberté de conscience. Le débat mettait aux prises deux courants idéologiques antagoniques. Des directeurs de conscience qui croient dur comme fer que "la sacralité de la religion est inviolable", et un autre groupe qui pense, tout bonnement, que "la liberté prime sur toute autre considération". "Je prône l'effort et la réflexion, et non pas la guerre sainte", a déclaré Saïd Djabelkhir devant la juge, comme pour résumer sa pensée. Une phrase qui synthétise, on ne peut plus clairement, les non-dits de ce procès. Durant la pause, les plaignants n'ont pas omis de rendre hommage au défunt chef d'état-major de l'armée, le général Ahmed Gaïd Salah. Pour eux, il symbolise "le rempart" contre "les négateurs" et autres "hizb França" (parti de la France), qui prônent "la laïcité" et "la liberté de blasphémer". En face, des militants qui considèrent que la religion relève "du domaine privé", dans lequel "nul n'a le droit de s'immiscer". Deux projets, deux projections, deux idéologies se disputent devant une justice dont les lois cachent ce penchant "tyrannique" qui ouvre la voie à des "informaticiens" pour saisir la justice contre un chercheur pour ses réflexions dans son domaine de prédilection. En somme, le procès, ce n'était pas seulement celui de Saïd Djabelkhir, mais celui de toute la pensée libre. Le verdict de l'affaire est mis en délibéré par la juge du tribunal pour le 22 avril prochain, alors que le procureur a requis l'application de la loi contre l'accusé.