L'urbanisation coloniale du grand hameau qu'était Oran va tout faire pour enlever et gommer le cachet médina de la cité et lui imprimer une touche foncièrement européenne, volontairement française. Avec des quartiers dont les noms rappelleront aux indigènes les victoires napoléoniennes comme Eckhmûlh, les personnages qui ont fait la deuxième République comme Boulanger, Courbet, Carteaux. Les grands boulevards qui perceront la ville de part et d'autre auront pour noms Alsace Loraine (actuelle Khemisti), De Lattre de Tassigny, Stalingrad, Alexandre de Yougoslavie. La moindre petite impasse sera baptisée d'un nom exclusivement et uniquement latin. Et c'est ainsi que les Oranais auront droit à la rampe Valés au passage Germain, au passage Afrique. Pour éviter d'avoir un nom à consonance locale, une placette sera appelée en fonction de la disposition des arbres qui l'entourent : la place des Quinconces. Grâce aux différents architectes qui ont eu à gérer l'espace de la ville, Oran a fini par ressembler à Rio De Janeiro vu d'en haut, à Acapulco vu du large et à Nice si l'on comparait le front de mer des deux villes. Oran comptait, selon les statistiques de l'époque, quelque chose comme 300 000 réfugies espagnols et colons français, mélangés en 1950 et 100 000 Arabes. Ces derniers étaient “tenus” en respect dans des zones bien distinctes : à Sidi El Houari pour ce qui est des pêcheurs et de leurs familles, en ville nouvelle pour ce qui est artisans et des commerçants et, bien plus tard, à Petit et à Victor-Hugo pour les petits fonctionnaires. Mais il faut bien se dire que les habitants d'El Hamri faisaient bien la différence à la fin du siècle dernier entre leur quartier et Oran. Quand ils prenaient la calèche, ils disaient : “On descend sur Oran” ou “On va sur Oran”. Ce ne sera que bien plus tard que cet appendice en tôle et en parpaing sera relié à Oran pour n'en faire qu'un. Nous étonnerions de nombreux Oranais en leur disant que leur ville a été un jour visitée par Jules Vernes. L'inégalable auteur à fiction était venu rendre visite à sa sœur mariée à un fermier près de Sig. Il fera accoster sa goélette au port d'Oran, donnera une série de conférences à la société de géographie et, apparemment, n'appréciera pas du tout les conditions dans lesquelles vivaient les Arabes. Mustapha Mohammedi