Zoubir Souissi, le journaliste et auteur au parcours incommensurable de près d'un demi-siècle, s'est éteint hier à l'âge de 78 ans à Alicante en Espagne. Une terre d'exil qu'il n'avait forcément pas choisie mais qu'il a fini par adopter comme canton de retraite face à l'adversité d'un obscurantisme tenace et aux tentatives de musellement de l'expression libre par un pouvoir peu enclin à l'épanouissement d'une presse indépendante. Sa disparition, tôt dans la matinée d'hier après plusieurs jours d'hospitalisation à Alicante en Espagne, a jeté l'émoi et la consternation parmi ses proches et au sein de la corporation. Le directeur de publication du Soir d'Algérie Nacer Belhadjoudja, considère la disparition de Zoubir Souissi comme une grosse perte pour la presse algérienne. "L'Algérie perd un authentique patriote qui a su conduire Le Soir d'Algérie à bon port dans les moments les plus difficiles sans jamais concéder un iota de l'idéal de liberté, de démocratie et d'indépendance de la presse à laquelle il a voué toute son existence", dit-il. Et à Kamel Amarni, d'ajouter : "J'ai eu l'honneur et le privilège d'avoir été recruté par cet immense journaliste en 1994. Et au-delà de son talent et de son professionnalisme, j'ai eu aussi le plaisir de découvrir un homme très attachant, doté d'une forte personnalité et d'un courage à toute épreuve (...) Il aura marqué deux époques du journalisme algérien et il reste pour moi le plus raffiné et le plus redoutable de tous", témoigne Kamel Amarni, rédacteur en chef du même journal. Un immense chagrin est aussi éprouvé par Maamar Farah, le cofondateur du Soir d'Algérie qui n'a pu cacher son émotion, en déclarant : "C'est un moment d'émotion et de grande solitude où l'on est presque tenté de dire que l'on se retrouve seul après les disparitions de Mohamed Bedrina, Fouad Boughanem et aujoud'hui Zoubir Souissi. La seule consolation est que l'aventure continue et c'est le plus bel hommage qu'on peut leur rendre." Pour sa part, Boubakeur Hamidechi, qui fut aussi le compagnon et ami de toujours du défunt Zoubir Souissi, soutient : "Notre amitié s'est consolidée au fil du temps et n'a jamais souffert des moindres querelles. Nous avons été recrutés le même jour en 1966, je perds un frère, une doublure au remarquable parcours. Zoubir était inégalable dans le reportage. Sa narration digeste et agréable le distinguait des pairs de sa génération. En dehors de ses qualités journalistiques, c'est aussi un homme au grand cœur, doté d'un entregent exceptionnel qui ont fait de lui l'homme populaire par excellence." De son côté, l'ex-directeur de publication du quotidien El Khabar, Ali Djeri, qui avait délégué depuis quelques années la présidence du jury du prix Omar-Ouartilane à Zoubir Souissi, loue les qualités du défunt qu'il qualifie comme l'un des "plus importants repères de l'espace journalistique en Algérie de par son parcours extraordinaire, sa jovialité et son sens de la responsabilité. Il était aussi un rassembleur autour des causes justes". Partie prenante de la première légion des femmes et des hommes qui furent dès la fin des années 1980, à l'origine de l'avènement de la presse indépendante et, partant, de l'ouverture démocratique, Zoubir Souissi donnera l'exemple en devenant membre fondateur du premier quotidien indépendant de l'Algérie post-1988, Le Soir d'Algérie en l'occurrence. Natif de la ville de Constantine, en 1943, Zoubir Souissi a rejoint dès 1966 le quotidien An Nasr après une brève collaboration au bureau régional d'Alger Républicain. Après l'arabisation d'An Nasr à la fin de 1970, il rallie la rédaction d'El Moudjahid où il occupera les fonctions de chef de rubrique nationale puis de rédacteur en chef adjoint. En 1978, il rejoint la revue hebdomadaire Révolution africaine où il sera désigné rédacteur en chef en 1985 alors qu'il n'était même pas affilié organiquement au parti FLN, condition sine qua non pour accéder à un tel poste à l'époque en vertu du fameux article 120. Après les événements d'Octobre 1988, Zoubir Souissi participera au débat sur le devenir de la presse au sein du Mouvement des journalistes algériens (MJA) avant d'entamer l'aventure intellectuelle du Soir d'Algérie dès septembre 1990 dont il sera le directeur de publication durant une dizaine d'années. Il y a quelques semaines seulement il planchait encore sur la rédaction de ses mémoires qu'il comptait éditer après le franc succès de ses deux ouvrages La tête des orphelins et Caméléon. Kamel Ghimouze