À vrai dire, ses silences de ces derniers temps laissaient présager le pire, mais ça n'amoindrit pas le choc de la funeste nouvelle : Fouad Boughanem n'est plus ! Et avec lui, ce sont des pans entiers de notre vie, faits d'amitié et de confiance mutuelle qui resurgissent, pour l'accompagner dans son dernier voyage. Des images d'époque : celles d'un jeune homme plutôt beau gosse, plus grand que la moyenne nationale, surgissant d'un périodique de jeunesse et venu partager nos luttes, souvent à armes inégales, au 20 rue de la Liberté. C'est tout naturellement qu'il sera l'un des animateurs du Mouvement des journalistes algériens (MJA), né d'un sentiment de révolte devant la répression et la censure d'Octobre 88. Il sera d'ailleurs l'un des membres du Conseil national, issu de la mémorable assemblée générale élective, qui s'était tenue à la salle Atlas de Bab-el-Oued. Des ministres, des personnalités politiques, chacun au gré de ses sympathies à l'intérieur du mouvement, étaient venus relever la température. Il y avait parmi eux un certain Mouloud Hamrouche qui avait su ou pu réunir autour de son nom quelques-uns de nos journalistes les plus en vue et d'autres venus comme lui ausculter l'avenir. C'est vrai qu'à ce moment-là, on y pensait fortement à l'avenir, mais certainement pas de la même manière, parce que nous rêvions, et eux cogitaient et élaboraient des plans. Puis vint l'évènement qui a marqué un tournant dans notre vie professionnelle, en même temps qu'il signait l'arrêt de mort lente du MJA, sans préméditation, et non sans regrets, du moins côté journalistes. Il s'agit du lancement des journaux indépendants, une belle carotte offerte, à laquelle aucun esprit sensé n'aurait résisté, mais qui cachait trop bien le bâton des futurs diktats. Avant de devenir ce paysage informe où des titres, plus ou moins durables, plus ou moins, ont poussé comme des champignons, la presse indépendante a commencé avec Le Soir d'Algérie. C'est à bord de cette embarcation légère, mais résistant aux flots grâce à son équipage uni à la manœuvre qu'a pris place Fouad Boughanem, en compagnie de quatre autres confrères. Citons, pour mémoire et pour qu'ils aient leur part légitime de lauriers, Zoubir Souissi, Maâmar Farah, Djamel Saïfi et Mohamed Bedrina (RIP). Pionnier de la presse indépendante, Le Soir a révélé les qualités de gestionnaire de Fouad qui s'est consacré, corps et âme, à maintenir le navire à flots, quitte à négliger sa vocation première. Modeste dans le triomphe, austère dans le bonheur, et discret, trop discret dans la maladie qui l'a emporté alors qu'il lui restait tant à donner, Fouad laissera le souvenir d'un homme paisible, mais déterminé. Il a fait de son journal une tribune et une référence pour le courant progressiste et laïque, dont les défenseurs et les porte-voix sont toujours là quoi qu'on en dise. Que sa femme et ses enfants, ses proches, et la grande famille du Soir et de la presse trouvent ici le témoignage de mon affection et de ma solidarité. Ahmed Halli