Professeur des sciences de l'information et de la communication à l'Université d'Alger, Laïd Zaghlami a également participé à des conférences en Algérie et à l'étranger portant sur la situation politique en Algérie. Dans cet entretien, il donne sa vision sur les partis islamistes et la différence qui existe entre les islamistes d'aujourd'hui et ceux des années 1990. Liberté : Le chef de l'Etat a indiqué dans un entretien au magazine "Le Point" que l'islamisme politique tel que nous l'avons connu dans les années 1990 n'existera plus en Algérie. Comment interprétez-vous cela ? Laïd Zaghlami : Ce qui s'est passé en Algérie dans les années 1990 nous rappelle ce qui s'était passé dans les années 1980 lors de la révolution iranienne. L'Occident avait joué un grand rôle dans la mise en place de cette situation. Les Occidentaux voulaient savoir de quel islamisme il fallait s'occuper. Ils ont alors créé des laboratoires à ciel ouvert qui ont permis de faire une expérimentation pendant 10 ans. Le résultat est que l'Algérie a connu une guerre sans merci pendant 10 ans. C'est une expérience qui nous a coûté trop cher. A l'origine, c'est le président de la République de l'époque, Chadli Bendjedid, qui a autorisé le FIS malgré les avertissements et les appréhensions de certains dirigeants comme ceux de l'Egypte et de la Tunisie. Le président égyptien Hosni Moubarak et le président tunisien Zine-El-Abidine Benali lui avaient déconseillé d'agréer un parti islamiste. Mais c'est surtout son chef de cabinet, appuyé, selon certaines indiscrétions, par l'Elysée, qui a décidé de donner l'agrément à ce parti. L'objectif recherché était de remplacer la mouvance nationaliste qui était au pouvoir à l'époque par cette mouvance islamiste mondiale. Cela n'est-il plus possible ? Les islamistes n'ont-ils plus les mêmes visées ? Je crois que le peuple algérien est suffisamment mûr et vacciné contre le péril islamiste. Les années du terrorisme ont fait comprendre à tout le monde que l'islam doit être celui de la modération, de la tolérance. Mais la société semble être moins tolérante... Cela n'a rien à voir avec ce qui s'est passé au début des années 1990. Nous étions face au parti unique qui faisait la loi. Le régime était autoritaire et les Algériens vivaient dans le chômage. Maintenant, je crois qu'il y a quand même des institutions qui peuvent avoir des lacunes, mais qui peuvent constituer une garantie contre une quelconque dérive. On reproche souvent aux islamistes leur agressivité ou parfois opportunisme. Mais je pense que la société est là pour stopper une éventuelle dérive. La société, à travers les associations et la société civile, doit agir. Et si dérive il y a, je crois que les pouvoirs publics doivent intervenir. Les islamistes algériens peuvent-ils faire suffisamment de concessions, à l'image des Tunisiens, pour créer un Etat moderne et non théocratique ? La mouvance islamiste en Algérie est différente de celle de Tunisie ou celle du Maroc où le parti islamiste au pouvoir a accepté la normalisation avec Israël. Chaque parti est plutôt le produit de l'environnement qui existe dans son pays. Il est connu qu'en Algérie, la classe politique est globalement composée de trois tendances : islamiste, démocrate et nationaliste. Une cohabitation entre les trois courants est plus que nécessaire. L'idéal serait l'émergence d'un mouvement politique qui rassemblera ces tendances. Ce n'est pas encore le cas, mais des tentatives allant dans ce sens existent. De mon point de vue, la prochaine assemblée populaire nationale sera une mosaïque dans laquelle il y a aura toutes les tendances, dans l'attente de l'avènement d'une véritable démocratie, une option qui nécessite un travail de longue haleine, le temps de voir émerger de nouvelles élites politiques. Le projet démocratique en Algérie se fera au forceps ou avec une césarienne. La perspective de l'arrivée de partis islamistes au pouvoir suscite des craintes au sein des mouvements de femmes et des défenseurs des droits de l'Homme et des libertés individuelles. Cette crainte est-elle justifiée ? Cette crainte n'est pas justifiée de par l'émancipation de la femme algérienne et du rôle qu'elle occupe dans la société. Ces réserves des femmes concernant les islamistes sont dictées par des interprétations erronées que font certains islamistes de la religion. Il faut arriver à mettre en valeur les principes de tolérance de l'islam. Puis, la femme est très présente dans des secteurs comme la justice, l'éducation et la santé. Elle n'attend donc l'autorisation de personne pour sa liberté. Ce sont des acquis qu'on ne peut pas remettre en cause. C'est à ces partis de s'adapter à la réalité parce que la société a évolué. Nous ne sommes plus dans les années 1990 où les gens étaient endoctrinés par le discours nihiliste, extrémiste. Nous sommes à l'heure de la mondialisation, des réseaux sociaux. Je suis optimiste sur le fait que nous allons vers une société plus apaisée puisque la lutte prend des formes plus démocratiques et les citoyens continuent à défendre les vraies valeurs de notre société.