Liberté : Le ministère des Finances a relevé récemment que les échanges commerciaux de l'Algérie, au cours des 5 premiers mois de 2021, se sont caractérisés par une atténuation du déficit de la balance commerciale de 68%. Il a fait état notamment de l'augmentation des exportations. Comment analysez-vous ces résultats ? Brahim Guendouzi : Tout d'abord il y a lieu de souligner que les activités des entreprises ont repris en 2021 comparativement à l'année 2020, caractérisée par le confinement des populations décidé par les autorités sanitaires. L'atténuation du déficit commercial peut s'expliquer par la conjugaison de deux facteurs : la réduction des importations globalement et l'augmentation en valeur des exportations en raison de la tendance haussière que connaît actuellement le marché pétrolier international. Les importations ont reculé de près de 20%, mais le ministère ne précise pas les biens concernés par cette baisse... Il existe aujourd'hui une nette volonté de la part des pouvoirs publics de compresser le niveau des importations afin de réduire le déficit de la balance commerciale et préserver un tant soit peu les réserves de change, en cette période de récession économique. C'est également l'occasion de redonner à la production nationale toute la protection nécessaire pour lui permettre de s'améliorer dans une perspective de densification du tissu économique et d'une diversification. L'exemple de l'industrie pharmaceutique est à ce titre révélateur puisque les responsables du secteur visent à réduire la facture de l'importation des médicaments de l'ordre de 800 millions de d'euros pour l'année 2021. La réduction des achats de l'extérieur reste concrète du fait de la conjugaison de deux évènements. En premier lieu, la crise sanitaire a incité de nombreux importateurs algériens à annuler leurs commandes en raison des protocoles sanitaires décidés aussi bien par l'Algérie que par les pays fournisseurs. En second lieu, il y a les mesures d'assainissements prises dans certaines activités comme par exemple le montage avec des collections CKD/SKD dans l'industrie ou encore les interdictions d'importer certains produits alimentaires dont les viandes. Enfin, la forte dépréciation du dinar constatée ces dernières semaines peut induire une réduction des importations en raison du renchérissement des produits étrangers.
Le ministère des Finances a indiqué, également, que les exportations hors hydrocarbures ont augmenté de 81,71%. Ce bilan rend-t-il rigoureusement compte de la réalité du commerce extérieur ? Spécifiquement pour l'année 2020, les exportations en général et particulièrement celles hors hydrocarbures ont chuté sensiblement car ayant subi l'impact de la pandémie de Covid-19. De nombreuses entreprises ont subi le confinement et n'ont pas pu développer pleinement leurs activités y compris celles à l'export. Les frontières étant toujours fermées et les protocoles sanitaires adoptés par de nombreux pays ont rendu les opérations de logistique difficiles et par conséquent cela a freiné quelque peu les échanges avec l'extérieur. Les chaines d'approvisionnement à l'échelle mondiale sont perturbées, ce qui a également contribué à rendre les processus de production tendus. Ajouté à cela, l'Algérie a arrêté une liste de produits interdits à l'exportation dans le contexte de la crise sanitaire afin de préserver le potentiel de production pour la satisfaction de la demande interne. En conséquence, il n'est pas pertinent de comparer l'évolution des exportations hors hydrocarbures sur les cinq mois de 2021 à la même période de 2020. Cela n'a pas de sens ! Qu'en est-il de l'objectif fixé par les pouvoirs publics d'atteindre jusqu'à 5 milliards de dollars d'exportation hors hydrocarbures en 2021 ? L'objectif tracé par les pouvoirs publics d'atteindre 5 milliards de dollars d'exportations hors hydrocarbures en 2021 parait en même temps ambitieux et irréaliste du fait de la faiblesse de l'offre de produits algériens sur les marchés étrangers, ainsi que les difficultés qui caractérisent l'environnement des affaires en Algérie comme la règlementation des changes, la logistique, la bureaucratie, etc. Ajouté à cela l'inadéquation du dispositif d'accompagnement des entreprises exportatrices aux nouvelles réalités des marchés à l'export. à notre avis, ce n'est pas tant ce montant à réaliser qui importe, mais c'est beaucoup plus le nombre d'entreprises qui se lancent à l'exportation quand on sait que 72% de la valeur des exportations hors hydrocarbures sont réalisés par cinq entreprises uniquement. Il y a lieu également de suivre le nombre de produits offerts sur les marchés extérieurs et surtout la répétitivité des opérations export dans le temps car cela renseignera de la présence durable des produits algériens à l'international. Cependant, tel que c'est annoncé officiellement, il est possible de donner une interprétation, au-delà du chiffre lui-même de 5 milliards de dollars, comme étant un choix stratégique à destination des opérateurs économiques que dorénavant l'économie algérienne s'orientera totalement vers des activités d'exportation et ce, quel que soit le timing de réalisation.