Déjà quelques mois avant octobre, nous étions de moins en moins nombreux à nous retrouver le dimanche autour d'une table, en ce lieu que nous aimons tant. Des amis étaient souvent absents car ils travaillaient beaucoup. Mais, s'agissant du comédien et du peintre, cela nous réjouissait. Avec le ramadan, nos rencontres se sont carrément arrêtées. Nous nous rendons compte, aujourd'hui, combien elles nous manquent et combien nous sommes impatients de les retrouver. En effet, ces rencontres, outre le plaisir qu'elles nous apportaient, nous permettaient de parler, d'échanger, de polémiquer, en un mot, de dire. Tout y passait : la politique, le sport, les voyages et, surtout, la culture. À chaque fois, tout commence dans l'allégresse et le rire, chacun a son anecdote, sa dernière histoire, son dernier bruit, et plus le temps passe, plus le ton monte, surtout lorsque nous abordons les sujets qui nous concernent : le cinéma, les tournages, les sorties de films, les festivals, car en ce lieu sympathique, il n'y a pas que les aiguilles d'une montre qui tournent, et, heureusement, les femmes toujours présentes arrivent à ramener le calme avec un mot plaisant et un sourire éclatant. Nous étions tout contents et fiers lorsque nous apprenions, comme cela a été souvent le cas ces dernières années, qu'un film démarrait ou qu'un film sortait. Notre ami le comédien était alors le plus heureux des hommes car il avait des chances d'avoir un boulot. Nous étions, au contraire, tristes et affligés lorsque nous constations que nos films ne recevaient presque plus de prix dans les festivals, que parfois ils ne tenaient l'affiche qu'une semaine à peine ou, pire encore, qu'ils restaient dans leur boîte. Ce sentiment, nous l'éprouvions aussi lorsque nous évoquions la dégringolade de notre football. Heureusement, d'autres informations atténuaient ces moments de peine, comme celle concernant notre ami le peintre qui avait enfin mis un point final à une importante exposition, ou encore celle de la sortie d'un livre que nous aimons et dont nous avions souligné l'importance autour de notre table. C'est le cas par exemple de l'ouvrage d'Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser Exterminer, sur la guerre et l'Etat colonial, présent actuellement dans les librairies et qui est très demandé, à notre grande satisfaction. Ces rencontres du dimanche nous permettaient également de revoir des amis venant d'ailleurs. Qu'ils soient étrangers de passage à Alger ou, le plus souvent, des nôtres résidant à l'étranger, ils nous retrouvaient facilement en ce lieu de rendez-vous régulier, désormais connu. Ils se mêlaient à nos discussions, qui pour promouvoir un projet, qui pour défendre une idée, d'autres pour nous expliquer, avec force arguments, ce qu'ils faisaient de l'autre côté de la mer. Nous ressentions alors tous combien nos opinions, nos points de vue leur étaient nécessaires. Ce rôle de récepteur et de démultiplicateur de l'information nous a toujours donné cette impression agréable d'être utile et positif. Nous avons, en effet, compris cette vérité essentielle : un artiste, un créateur, n'est heureux que lorsqu'on s'intéresse à son travail, à sa production, à son œuvre ; un comédien n'est jamais aussi beau que lorsqu'on lui parle de son jeu ; un cinéaste lorsqu'on lui parle de son film ; un peintre de ses toiles ; un écrivain de son livre ; un journaliste de son dernier article. Tous éprouvent le besoin vital d'un public attentif et fraternel. Notre espoir est qu'en d'autres lieux, d'autres milieux, des rencontres telles que les nôtres existent, et qu'elles apportent informations, échanges, débats et joie. P. S. : Notre article de la semaine dernière ayant pour titre “Alger vue par…” commence réellement ainsi : “Nos amis responsables du Festival international du film de Rennes (France) ont décidé, pour sa prochaine édition en mars 2006, de célébrer Alger” et se termine ainsi : “Ce programme, célébrant Alger, pourra ainsi devenir un “classique”. Il sera demandé par toutes les métropoles du monde, à commencer par notre belle capitale.” B. K.