Bouteflika est un président très au fait de la situation prévalant en Kabylie. La Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH) drivée par Me Farouk Ksentini se charge, depuis pratiquement le début des évènements, de lui établir régulièrement des rapports détaillés de la situation dans cette région. Ces derniers lui sont transmis aussitôt élaborés, apprend-on auprès d'une source proche de la présidence de la République. Il est ainsi mentionné, dans les multiples rapports qui parviennent au chef de l'Etat, des données très précises sur les difficultés que rencontre la population, son état d'esprit ainsi que Ie degré de sa mobilisation autour du mouvement citoyen des archs. Aussi, la gravité de la situation en Kabylie constatée de visu par les équipes de la CNCPPDH a poussé son président, Me Ksentini à revendiquer publiquement “des mesures d'urgence en faveur de la région en libérant notamment les détenus”. Mais Bouteflika bien qu'informé dans le menu détail tarde à prendre les décisions qui s'imposent. Ce qui a fait dire à une source proche de la commission Ksentini que “nous faisons des rapports pour rien”. S'il est tout à fait logique, du reste, que le président de la République prenne le temps de bien s'informer sur n'importe quelle question, il n'en demeure pas moins que les décisions qu'impose l'indicible situation en Kabylie tardent à être prises. Rien, logiquement en tout cas, ne devrait justifier ou expliquer l'atermoiement du président de la République s'agissant de la crise en Kabylie. Bouteflika a-t-il ses propres priorités ? On se rappelle de sa promptitude à exécuter son intention envers les terroristes de l'Armée islamique du salut (I'AlS) en décrétant la grâce amnistiante, quelques semaines à peine après son élection à la magistrature suprême en avril 1999. Ce qui établit la certitude que le Président de “tous les Algériens” ignore et tourne le dos à la Kabylie. Pourtant, sa responsabilité est entièrement engagée dans les tragiques évènements survenus dans cette région. Non pas parce qu'il aurait donné ordre aux gendarmes de tirer sur la foule, parce que de toute évidence un tel ordre a bel et bien été donné pour cribler de balles les manifestants. Mais parce que, en tant que premier magistrat du pays et chef suprême des institutions civiles et militaires qui a la responsabilité avant tout de protéger les citoyens, il n'a pas enjoint les gendarmes d'arrêter de tirer sur la population. C'est très justement d'ailleurs ce que relève la commission d'enquête sur les évènements de Kabylie présidée par Mohand Issad. Cette structure en effet souligne en substance, dans ses conclusions, que “s'il est sûr que quelqu'un a bien donné ordre de tirer sur la foule, pourquoi personne n'a ordonné de cesser les tirs ?”. Même si par ailleurs la commission Issad ne prend pas pour cible le chef de l'Etat. Qu'est-ce qui le freine donc et l'empêche en définitive de décider de mesures d'apaisement notamment en libérant les détenus ? La majorité des observateurs de la scène politique nationale s'accordent à dire que c'est la nature du combat dont est porteur le mouvement citoyen qui bloque Bouteflika. En ce sens, le Président a choisi son camp. Il vole volontiers au secours des islamistes à chaque fois qu'ils l'interpellent et laisse les choses pourrir quand le cri d'alarme vient des démocrates ou tout simplement de la population. Mais cela seul n'explique pas que le chef de l'Etat n'ait rien tenté de sérieux depuis vingt-et-un mois pour dénouer la crise en Kabylie. À quelques encablures de la présidentielle de 2004, on est fondé à penser que le maintien du pourrissement en Kabylie vise à neutraliser l'électorat kabyle, celui de l'émigration ainsi que tous ceux à travers le pays qui ont manifesté leur solidarité avec le mouvement citoyen et ses revendications. N. M.