Le chef de l'Etat, qui a jusque-là tourné le dos à la Kabylie, réagira-t-il aux recommandations de la commission Ksentini qu'il a lui-même installée ? Les appels pressants pour un règlement “urgent et définitif” de la crise en Kabylie se multiplient. La commission Ksentini, qui vient de remettre son rapport annuel sur la situation des droits de l'Homme en Algérie au président de la République, joint sa voix aux partisans d'un traitement politique à la crise dans cette région : “Il n'y a qu'une seule approche possible à ce problème politique que pose la Kabylie, c'est le dialogue” souligne Me Farouk Ksentini, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH) interrogé par nos soins sur les propositions formulées par sa commission sur le traitement de la crise en Kabylie. Ce dialogue doit avoir lieu, selon Me Ksentini, avec “les représentants effectifs des archs, désignés par la population elle-même”, y compris les “délégués en détention actuellement”, tient-il à préciser. A ce propos, le premier responsable de la CNCPPDH recommande la libération “immédiate de l'ensemble des détenus”. A ses yeux, cette libération, qui doit intervenir dans l'“immédiat”, est de “nature à favoriser le dialogue”. Néanmoins, notre interlocuteur prend la précaution de souligner que son refus du maintien des délégués en détention ne veut aucunement signifier leur disculpation : “Je suis fondamentalement contre la détention préventive, il faut que les détenus rentrent chez eux et que l'instruction judiciaire suive son cours le plus normalement du monde.” Aussi, dans son appel au dialogue, le président de la CNCPPDH recommande l'association des partis politiques implantés en Kabylie, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et le Front des forces socialistes (FFS) en l'occurrence, “parce que les partis sont les représentants naturels de la population”. Le dialogue a toutes les chances de réussir, estime Ksentini pour qui “il existe des gens capables de dialoguer sereinement aussi bien du côté de la Kabylie que du côté de la Présidence et des autorités”. Dans le même temps et à l'encontre des gendarmes qui ont commis “des dépassements” au préjudice des manifestants en Kabylie, Me Ksentini martèle la nécessité pour la justice de “suivre son cours que ce soit positivement ou négativement pour eux”. En outre, notre interlocuteur affirme “partager” les conclusions de la commission d'enquête sur les évènements de Kabylie, drivée par le professeur Mohand Issad. Il indique, à ce sujet, qu'“il n'y a aucune raison pour que les conclusions de la commission Issad ne soient pas prises en charge. D'autant que c'est une commission indépendante désignée officiellement par M. le président de la République et composée de membres intègres et honorables”. Pour rappel, la commission Issad a qualifié la violence utilisée par les gendarmes contre les populations en Kabylie de “violence de guerre avec l'utilisation de munitions de guerre” et a souligné que “si quelqu'un a forcément donné l'ordre de tirer à balles réelles sur la foule, en revanche, personne n'a donné l'ordre de cesser le feu”. Ces mêmes conclusions ont été également partagées par Amnesty International (AI) qui a séjourné dans notre pays du 15 au 30 février dernier. L'ONG de Roger Clark, qui a qualifié de “grave et loin d'être résolue” la situation en Kabylie, a appelé à son règlement “immédiat” à travers, notamment, “le jugement des auteurs des tueries contre les manifestants”. La même revendication a été, par ailleurs, exprimée par des voix officielles : il s'agit, notamment, de l'Assemblée populaire nationale (APN) dont le président, Karim Younès, avait interpellé, à l'occasion de la clôture de la session d'automne du Parlement, le président de la République et du patron du RND, Ahmed Ouyahia, qui a revendiqué “un règlement urgent de la crise” via un dialogue avec les représentants effectifs des archs. Bouteflika, qui a jusque-là tourné le dos à la Kabylie, réagira-t-il aux recommandations de la commission Ksentini qu'il a lui-même installée ? N. M.