Le chemin qui monte vers les Ath Yenni mène droit dans les champs d'oliviers réduits en cendres par les feux qui continuent de ravager les montagnes du Djurdjura. De Takhoukht jusqu'à Ath Menguellet, le couvert végétal a disparu de la surface de la terre... D'énormes flammes ravageaient encore les quelques troncs d'arbres qui ont résisté aux feux de l'avant-veille à Takhoukht. Tout au long du barrage Taksebt, aucun arbuste n'a été épargné par les feux. Le couvert végétal est totalement calciné transformant complètement cet endroit qui accueillait les familles. Un désert. Un épais nuage rend la visibilité quasi nulle, la chaleur est étouffante."Je n'ai jamais vu de tels incendies", témoigne un homme rencontré à Takhoukht. "Même durant la guerre, le napalm n'a pas provoqué ce désastre", a-t-il ajouté. Ce décor dévasté montre l'ampleur du désastre sur la haute montagne. Au fur à mesure que l'on gravit le chemin qui monte vers Ath Yenni l'on constate la violence des flammes qui ont tout rasé. Méconnaissable, Ath Ouacifs, Ath Douala, Ath Yenni, Akbil, Aïn El-Hammam ou encore Iboudrarène ne sont que des champs carbonisés. Les forêts ont disparu de la surface de la terre. Plus loin encore vers Iferhounène et Illilten, seule la fumée recouvrait un soleil de plomb. À cette chaleur insupportable s'ajoutaient l'inquiétude et la détresse d'une population livrée à elle-même et surtout aux flammes. Comme abandonnée au milieu d'un enfer qui redouble de fureur. Au bord de la route, des citoyens dont le regard hagard sur ces insoutenables scènes de poussière que le vent, en soufflant, jetait comme le signe d'une malédiction qui les enveloppait. Abattus, mais tentant de s'accrocher dignement à ce lopin de terre des aïeux. Tous muets. Personne ne parlait. Un silence troublant. Tout se disait par des regards perdus dans l'immensité des champs d'oliviers réduits en cendres. Ils scrutent l'horizon pour probablement repartir au front si des incendies se déclarent. "Mes enfants m'ont dit qu'un incendie s'est déclaré du côté de Tahechat à quelques deux kilomètres à vol d'oiseau de chez moi, mais je n'ai rien compris lorsque j'ai vu que les flammes dévastaient mon propre jardin en un temps record", témoigne pour sa part, Mehdi de Taourirt Mimoun. "Je n'ai rien pu faire. Ni sauver ma demeure ni circonscrire le feu pour épargner les autres demeures voisines", se désole-t-il. La colline oubliée blessée Arrivé à Taourirt Mimoun, la célèbre colline sublimée par Mouloud Mammeri, le temps était au recueillement et au deuil. Le village de Mammeri et d'Arkoun est littéralement brûlé. Les feux ont tout balayé sur leur passage. Adel Kaci (65 ans) et Abed Hakim (40 ans) ont laissé leur vie en se battant contre les flammes pour sauver leurs maisons. "La colline oubliée" est endeuillée, blessée, martyrisée. Plongés dans une infinie tristesse, les villageois se remettent difficilement de cette tragédie. Le choc de la perte de deux citoyens est insurmontable. La placette du village est devenue un lieu de recueillement pour de nombreux citoyens qui affluent. Ils arrivent pour apporter réconfort, aide et assistance à la population locale. De Bouira, de Béjaïa, de Sétif, d'Alger, à bord de véhicules chargés d'eau minérale, de produits de première nécessité. Une solidarité qui soulage. Le décor s'assombrit davantage quand on poursuit la route vers Ath Menguellet du côté d'Aïn El-Hammam. "Il n'y a rien à voir. Il ne reste plus rien de nos forêts et de nos villages", lâche tristement un septuagénaire qui tente de nous dissuader de poursuivre le chemin. "La respiration est difficile, vous risquez d'être étouffés par la fumée", nous prévient-il. Arrivés sur les lieux après une traversée désertique, nous apprenons que des villages ont été vidés. Les habitants évacués pour les mettre à l'abri, d'autant que les feux repartent de plus belle. "La région des Ath Bouyoucef à Aïn El-Hammam est cernée par les feux", annonce un jeune en furie. "Nous sommes ici depuis trois jours", informe un jeune. Il a précisé qu'ils se relayaient pour prévenir un nouveau départ de feu. L'hôpital d'Aïn El-Hammam qui a failli être brûlé, accueille les victimes. Leurs familles attendent impatiemment devant le bureau des admissions. "Nous attendons le médecin légiste qui devait venir de Tizi Ouzou pour les documents", explique à Liberté le parent d'une victime. Pour lui, "le bilan est encore plus lourd que celui annoncé officiellement". Livrées aux flammes, plusieurs localités de l'ex-Michelet sont comme coupées du monde. Ni électricité, ni eau, ni réseau téléphonique et, par endroits, la circulation automobile est devenue impossible. Il fallait compter sur un gigantesque élan de solidarité citoyenne qui s'est vite mis en place. Tout le monde converge vers Tizi Ouzou. Ils arrivent de partout. "L'élan de solidarité né d'une manière rapide et spontanée est la seule chose positive", résume Massil, citoyen de Beni Douala, résidant à Tizi Ouzou. Des dizaines, voire des centaines de véhicules affluaient vers la wilaya de Tizi Ouzou. Par Akbou, Adekkar, Tadmaït, le littoral, Draâ El-Mizan... des aides arrivent depuis deux jours. Au centre-ville, des jeunes ont improvisé des dépôts pour la réception et ensuite la distribution des aides. D'autres dons sont directement envoyés vers les régions les plus touchées. "Ils arrivent de plusieurs régions du pays", précise Hakim, bénévole chargé de la réception des dons au boulevard Krim-Belkacem. "Nous sommes là jour et nuit et les aides arrivent de toutes les régions", assure-t-il. De notre envoyé spécial : Mohamed Mouloudj