Liberté : L'Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc. Quelle lecture faites-vous de cette décision ? Abdelaziz Rahabi : Ce n'est pas un acte isolé, et le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a décliné dans sa déclaration liminaire les fondements de cette mesure qui est l'aboutissement de tout un processus dans lequel notre voisin n'a respecté ni les règles de bon voisinage ni les engagements souscrits par ses dirigeants, tant sur le plan bilatéral que sur le plan maghrébin. Sur le plan bilatéral, le Maroc persiste dans des attitudes belliqueuses dont la toute dernière est l'appel officiel marocain à la sédition en Algérie. Sur le plan régional, notre voisin, contrairement aux engagements du roi Hassan II à Zéralda en 1988 et à Marrakech en 1991, n'a pas respecté sa promesse de déconnecter la question sahraouie du processus maghrébin, d'encourager le processus onusien et d'accepter l'organisation d'un référendum d'autodétermination. Le Makhzen s'est rendu coupable d'avoir notamment offert "une tribune" à l'entité sioniste pour s'en prendre à l'Algérie. Pourquoi, selon vous, le Maroc soutient-il de telles ignominies contre son voisin? Libre à lui de le faire dans la mesure où son pays a normalisé ses relations avec Israël contre une reconnaissance de souveraineté sans valeur juridique et sans effets notables. Toutefois, servir de tribune et de lieu de promotion d'une campagne qui associe l'Algérie à une campagne israélienne contre un autre Etat, relève, à mon sens, d'une opération de déstabilisation et d'atteinte à l'image de l'Algérie. Nous avons le privilège de la souveraineté de la décision diplomatique et c'est l'un des marqueurs de l'identité de notre politique extérieure, et nous sommes très peu sensibles aux pressions extérieures. La réaction marocaine à la décision d'Alger informe, si besoin est, sur le désarroi du Makhzen qui ne s'attendait visiblement pas à une telle réaction. Pourquoi selon vous ? Le Maroc s'attendait à notre réaction. Je pense même qu'il l'a provoquée dans le prolongement direct du document distribué au sein du siège de l'Onu appelant à la sédition et à la division de l'Algérie. Il a toujours entretenu une stratégie de la tension permanente uniquement fondée sur la capitalisation et sur les fragilités structurelles ou conjoncturelles de Algérie en s'appuyant sur son statut d'allié de l'Occident dans la région et les soutiens inconditionnels des pays du Golfe. Il reste qu'il a une forte méconnaissance de l'Algérie et des Algériens. Car plus l'étranger interfère dans nos affaires, plus le front interne dépasse ses divisions et la Nation se régénère, et cette équation ne peut être assimilée que par les Algériens, elle est le fruit de leur histoire. Indépendamment de cette décision, quelles seront les répercussions sur les deux pays, mais aussi sur la région ? Je ne pense pas que l'impact sur l'Algérie soit de nature à toucher à ses équilibres, pas que sur le Maroc d'ailleurs qui a envisagé avant nous une intégration économique avec l'Europe, l'Algérie n'étant qu'un potentiel marché. Il n'y a pas de facteurs d'interdépendance susceptibles de créer des situations de blocage du fait de la rupture des relations réduites d'ailleurs à leur plus simple expression depuis le refus marocain de la proposition du président Bouteflika d'échanger des visites de haut niveau pour relancer la coopération et rétablir la confiance entre les deux pays.