Liberté : Quelle appréciation faites-vous de la note produite par le représentant permanent du Maroc aux Nations unies remise aux membres des non-alignés ? Abdelaziz Rahabi : Il s'agit bien plus que d'une note de routine diplomatique dont le système onusien est familier mais d'un document du représentant officiel du gouvernement marocain, enregistré au secrétariat de l'ONU, largement distribué avant de devenir public et qui appelle à la sédition chez un pays voisin, en l'occurrence l'Algérie. Tout le reste relève des convenances diplomatiques qui n 'ont pas lieu d'être si nous considérons le niveau de gravité de la position du Maroc sur la question de la cohésion de la Nation algérienne. Cette sortie est-elle réductible à une provocation de conjoncture ou s'inscrit-elle dans une stratégie plus globale du régime marocain ? Même si l'acte est d'une gravité certaine, il ne déroge pas à la stratégie de la tension permanente adoptée par le Maroc dans la région. Notre voisin a une position géographique presque insulaire alors forcément son agenda diplomatique subit les contraintes de cette insularité. Il ne lui reste que l'Algérie et l 'Espagne comme voisins directs. D'ailleurs, l'opération sur Ceuta procède du même esprit avec les résultats que tout le monde connaît. Notre voisin veut entraîner l'Algérie dans un tête-à-tête et réduire son influence régionale, alors que notre masse territoriale peut légitimement nous faire prétendre à un agenda diplomatique bien plus ample. Quelles conséquences devrait avoir cette sortie sur les relations entre Alger et Rabat ? Considérant que globalement les Etats sont très sensibles aux questions de souveraineté, je pense qu'une ingérence aussi directe et fondée essentiellement sur la volonté de nuire sur des questions essentielles comme l'unité et la cohésion nationales ne doit pas être traitée sous le simple angle diplomatique. L'hostilité déclarée appelle des mesures concrètes de rétorsion. Je ne comprends, par ailleurs, pas que l'Algérie soit représentée aujourd'hui par un diplomate de rang d'ambassadeur et que ce soit toujours elle qui cède aux demandes des pays du Golfe pour normaliser ses relations avec le Maroc après chaque crise entre les deux pays. Comment l'Algérie devrait-elle réagir, selon-vous, se contenter d'une déclaration de dénonciation ou faut-il d'autres gestes ? La dénonciation ne suffira pas et notre réaction doit être à la hauteur de la gravité de l'opération qui ne peut être du seul fait du représentant permanent marocain, mais procède à l'évidence d'une action hostile et concertée. Paradoxalement, cette ingérence manifeste d'une puissance étrangère sur nos signes identitaires renforce le front intérieur et renseigne, par ailleurs, sur la mauvaise connaissance par le Makhzen du caractère des Algériens. Le geste du représentant permanent du Maroc à l'ONU est un précédent dans les annales diplomatiques. Que peuvent penser des pays partenaires de ce genre de déclarations ? Je pense que c'est un signe de nervosité de la diplomatie marocaine dû essentiellement à trois facteurs : le premier est que le Makhzen avait misé sur une déviation du Hirak qui provoquerait l'effondrement de l'Etat algérien et a ainsi fait une grosse erreur d'appréciation car le Hirak est d'essence éminemment patriotique. Le second facteur est lié à la déception devant les limites de la décision de Trump sur le Sahara occidental que la nouvelle administration, sans la remettre en cause, la laissera en l'état. Enfin, les considérations de politique interne ont traditionnellement motivé au Maroc des opérations de politique étrangère contre l'Algérie, considérant, à ce titre, que l'Algérie fait presque partie de la politique intérieure du Maroc si l'on doit s'en tenir aux activités des réseaux sociaux et aux médias publics et semi-publics.