Qu'ils soient du Maghreb ou du Sénégal, exilés ou nés en Occident, les écrivains invités à cette rencontre ont évoqué, au travers de leurs œuvres respectives, leurs liens au passé colonial et la manière dont ils l'expriment à travers leur écriture. David Diop, Azouz Begag, Mohamed Mbougar Sarr, et Dan Nisand ont pris part dernièrement à une rencontre organisée par la librairie Kléber (France). Le thème de cette rencontre met en relation leurs travaux autour de l'héritage colonialiste et des codes de la société contemporaine à travers les romans et expériences personnels de ces écrivains d'origine africaine et maghrébine. Azouz Begag dans son dernier roman L'Arbre ou la maison, (Julliard, 2021) remonte à la première génération d'immigrés en France en confrontant, d'après son propre vécu et celui de sa famille, "la nostalgie de l'enfance à la réalité d'un pays en effervescence, résolument tourné vers l'avenir par la soif de liberté". C'est en effet après un séjour en Algérie en 2019 avec son frère Samy, en plein Hirak, que l'ancien ministre délégué dans le gouvernement de de Villepin, tisse le fil entre passé et présent, France et Algérie, racines et étrangèreté. C'est d'ailleurs l'allégorie qui se cache derrière le titre de son livre, explique-t-il. L'arbre planté par le père il y a un demi-siècle menace les fondements de la maison familiale à Sétif. Alors, que faut-il sauver ? L'arbre, symbole de l'attachement au pays d'origine, ou la maison, un cocon familial construit à la sueur du front du papa ? Ce rapport douloureux entre les origines et la vie des enfants d'immigrés en France, Begag le résume en ces termes : "Nous pensions que c'était 'là-bas' [l'Algérie] le vrai chez-nous, mais quand on y retourne, ce c'est plus chez nous !". Et de poursuivre : "À mon frère, je dis qu'il faut couper l'arbre pour préserver la maison, c'est-à-dire couper le versant sud de notre identité pour conserver celui du Nord. Il dit non, on ne touche pas l'arbre (...) Finalement nous sommes des frontaliers identitaires, ni d'ici ni de là-bas, un peu d'ici et un peu de là-bas". Et de reprendre à l'adresse du modérateur du débat : "Je crois au fond que c'est une plaidoirie pour les identités apaisées, frontalières, pas meurtrières comme celles d'Amin Maâlouf. Des identités de bienveillance, c'est ce dont nous manquons aujourd'hui". Le Prix Goncourt des lycéens 2018, Booker Prize 2021 et le Prix Kourouma pour Frères d'âme (Seuil, 2018), David Diop met au cœur de son dernier roman La porte du voyage sans retour (Seuil, 2021) la violente confrontation des cultures et la traite des Noirs au Sénégal du 18e siècle. S'inspirant de la figure du naturaliste français Michel Adanson, Diop, comme dans son précédent roman mentionné plus haut, dépeint la violence coloniale et ses conséquences sur les peuples envahis. "C'est dans ce qui est en 1750 une concession française qu'un jeune homme blanc débarque, venu au Sénégal pour étudier la flore locale (...) Lorsqu'il a vent de l'histoire d'une jeune Africaine promise à l'esclavage et qui serait parvenue à s'évader, son voyage bascule dans la quête obstinée de cette femme perdue". À propos de son personnage principal, Diop précise : "J'ai voulu confronter ce jeune savant, qui va à la recherche de plantes nouvelles à décrire pour se faire sa place à l'Académie royale des sciences de Paris à la violence à travers le discours de la jeune femme rencontrée et qui va lui faire prendre conscience de cette violence." Et l'écrivain de continuer : "Au départ, le but n'est pas de placer la violence comme fin, mais un moyen de montrer des personnages prisonniers d'un contexte dans lequel ils essayent de traiter cette violence. Ils essayent de comprendre cela, mais rétrospectivement, parce que ce qui m'intéressait c'était de montrer que Michel Adanson transmet des manuscrits secrets à sa fille, c'est l'occasion pour lui de se remémorer ce voyage secret que j'invente, et son rapport à cette violence". Dans son précédent roman, dans un contexte de Première guerre mondiale, Diop racontait, entre la monstruosité de la guerre et la folie de son personnage principal Alfa Ndiaye, "la barbarie et les doutes sur la légitimité des massacres".