«Je suis très fier. Je pense à tous nos parents, à tous ceux qui sont morts pour que nous, leurs enfants, puissions gravir les marches de la promotion sociale», déclarait le ministre Begag. Dominique de Villepin qui le recevait le 3 juin à Matignon *affirmait : «L'égalité des chances est au cœur de notre pacte républicain et je suis particulièrement heureux qu'Azouz Begag ait accepté cette mission importante pour l'ensemble de notre pays.» Dès sa nomination, Azouz Begag a annoncé qu'il se lancerait dans «un tour de France, des inégalités des chances, pour voir où il y a les principaux blocages». Les discriminations, les difficultés de vie dans les banlieues populaires, cet enfant d'immigrés algériens, né dans un bidonville de la périphérie de Lyon, sait ce que cela représente. Azouz Begag, s'il incarne aujourd'hui un parcours réussi, voire brillant, n'oublie pas ses origines modestes et n'a pas coupé ses racines. Spécialiste en socioéconomie urbaine, son travail a largement porté sur la mobilité des populations immigrées dans les espaces urbains et sur les différents problèmes auxquels sont confrontés les jeunes d'origine maghrébine. Dans ses romans, il valorise leur culture d'origine et leur propose des modèles positifs d'identité. En mai 2004, Dominique de Villepin, alors ministre de l'Intérieur, lui confie la mission de promouvoir l'égalité des chances dans les métiers de la Fonction publique qui dépendent du ministère de l'Intérieur, comme la police, la Protection civile… Selon les estimations, en janvier 2004 par exemple, dans la police nationale, de 5 à 15% des 11 000 adjoints de sécurité étaient d'origine maghrébine ou africaine, et une dizaine de commissaires est d'origine maghrébine sur 1800. En décembre 2004, il remet à Dominique de Villepin un rapport de 59 pages intitulé «La République à ciel ouvert» dans lequel pointe la nécessité de recruter des «minorités visibles» dans la police, de créer des «brigades antidiscrimination» (BAD), la multiplication des «cadets de la République», ou encore une «diversification» des jurys d'admission aux concours. Dans un entretien (juin 2004), Azouz Begag nous affirmait qu'il avait proposé au ministre que l'on ne prononce plus le mot intégration, parce que «continuer à utiliser ce terme veut dire que l'on n'a toujours pas compris que cette phase de la présence des immigrés en France et de leurs enfants est révolue. Il n'est plus question en ce qui concerne les enfants de l'immigration d'être intégrés, ils sont Français, mais le défi est la promotion de tous ceux qui sont là, en France.» Il préconisait de «revenir dans le champ de la République française, soit celui de rétablir les chemins qui mènent à l'égalité, et notamment pour les métiers de la Fonction publique qui dépendent du ministère de l'Intérieur, comme la police, la Protection civile, les préfets, les employés de mairie… Il revient à la République d'aller vers les différentes composantes de sa population pour diversifier ses portes d'entrée». Et il relève que «l'absence de mixité dans les métiers de la politique, de la télévision, de la haute administration, de l'armée… ne reflète pas du tout la diversité de la population. Et cet état de fait a développé deux idées dans les quartiers où sont concentrés les immigrés et leurs enfants. La première c'est : Ce n'est pas pour nous. On est cantonné à des rôles subalternes.” Deuxièmement : Si on veut compter dans cette société française, il faut se compter.” C'est-à-dire créer des collectifs, s'organiser sous le registre d'une communauté d'appartenance pour pouvoir être reconnu par le milieu politique local et national : c'est-à-dire l'exclusion. Et l'exclusion a généré le communautarisme». Il considère que la meilleure manière de lutter contre l'exclusion, c'est de favoriser l'égalité des chances. «Il faut aller apporter l'information et l'accessibilité aux métiers là où se trouvent les gens exclus dans leur quartier. Ce n'est pas aux jeunes de faire la démarche, c'est à la société d'aller vers eux», nous dit-il encore. Azouz Begag écarte la discrimination positive ou les quotas. «Il ne convient pas de parler de quotas dans la société française dans la mesure où la loi interdit de repérer sur les cartes d'identité des individus leur religion ou leur couleur de peau, ou leur ethnie d'origine. Par conséquent, il faut parler d'une politique volontariste de mixité. Cette question de la visibilité est un enjeu politique majeur», nous affirme-t-il. «Traverser le périphérique» Le sociologue estime que les causes de la discrimination sont relatives à la distinction sociale, et dépassent largement le cadre de la religion ou de l'ethnie. «Il faut que les jeunes des quartiers comprennent que pratiquement la seule issue qui leur est offerte aujourd'hui pour s'en sortir, c'est de s'arracher au groupe d'appartenance au territoire-refuge et traverser le périphérique aussi vite que l'on peut, c'est-à-dire dès le plus jeune âge pour pouvoir aller inventer sa propre personnalité au contact de l'altérité. L'exclusion est d'abord intégrée par l'individu comme une barrière psychologique.» «Les jeunes de la Courneuve, d'Aubervilliers… doivent comprendre qu'il n'y a plus beaucoup à espérer de l'Etat providence. Nos parents, que nous sommes en train d'enterrer aujourd'hui, sont partis de leur village parce qu'ils n'avaient rien à manger. Le propriétaire de la ferme où travaillait mon père lui donnait en guise de salaire un quintal de blé par mois. Aujourd'hui, je suis écrivain et chercheur au CNRS, c'est tout à la gloire de mon père qui ne parlait même pas français. Il est grand temps que les personnes qui ont une autorité morale réexaminent la carte des valeurs essentielles parmi lesquelles la valeur du travail.» Azouz Begag a fait, il y a trois ans, une enquête, «les Dérouilleurs» qui a porté sur une centaine de quadragénaires issus de l'immigration maghrébine, qui ont grandi dans les cités HLM, et qui ont réussi socialement. L'objet de l'étude était de comprendre les mécanismes de leur réussite. Il en a tiré trois enseignements. Le premier, c'est que la plupart des gens sur lesquels Azouz Begag avait enquêté ont eu très tôt dans leur vie, vers 12-13 ans, des opportunités de sortir de leur quartier et de leur milieu. Et qui n'ont donc pas peur d'être ailleurs avec des gens différents. Deuxièmement, ce sont des gens qui ont trouvé sur leur chemin des personnes-relais qui les ont aidés à «traverser le périphérique», à passer d'un monde à l'autre (un éducateur, un enseignant, un employeur)… Une rencontre qui a transformé leur vie et qui leur a donné un sentiment très important pour aller de l'avant : la confiance. Le troisième enseignement, c'est surtout vrai pour les garçons qui ont réussi leur vie, ils ont été élevés, pour la plupart, par les femmes qui composaient leur famille. Quant aux filles, pour la plupart d'entre elles, l'autorité gagnée par l'éducation, par l'école a fait que «toutes les contingences liées à leur sexe étaient secondaires, dès lors que ces filles acquerraient le statut d'avocate, de médecin et de professeur. Elles ne sont plus, alors des filles, mais un statut social, ce qui permet aux parents de négocier avec les voisins, avec le qu'en-dira-t-on la mobilité individuelle des filles.» Lire et écrire Son premier roman, Le Gone du Chaâba (Seuil, 1986), s'inspire de son enfance dans un bidonville de Lyon et raconte sa volonté de s'en sortir par la réussite scolaire. Le Chaâba est le nom du bidonville dans lequel il a grandi. Le roman a été adapté au cinéma 10 ans plus tard par Christophe Ruggia, un film primé dans plusieurs festivals et dans lequel Fellag tient le rôle du père. Dans une présentation de ce roman autobiographique, Azouz Begag écrit : «Je suis né de parents analphabètes, c'est cela qui a tout déclenché. Mes parents, comme la plupart des immigrés du Maghreb qui vinrent en France dans les années d'après-guerre, ne sont jamais allés à l'école. Au Chaâba, enfant, c'est moi qui essayais d'apprendre à mon père à lire et à écrire. Un monde à l'envers. Il rechignait à cet effort. A quoi bon, disait-il, nous ne sommes là que pour quelques années, après nous allons rentrer chez nous, bien au chaud”, dans la maison que ses économies allaient permettre de bâtir. Il me forçait à bien travailler à l'école de Charlemagne, parce que son instinct de paysan lui avait permis de saisir l'importance de l'éducation pour réussir une vie. Et puis, il nourrissait également un rêve qu'il me sussurait parfois à l'oreille : il m'imaginait en classe premier devant les Français ! Une belle revanche sur sa misère à lui. Alors moi, tous les matins, sur le chemin de l'école, j'apprenais par cœur les histoires des rois Louis, les affluents de la Seine, les récitations de Paul Verlaine. J'essayais d'oublier les baraques pourries de mon bidonville, la saleté, le froid, la pauvreté, pour me concentrer sur ma piste d'envol : l'école. Aujourd'hui, tel un troubadour, je parcours les Zones d'éducation prioritaires à la rencontre des collégiens et je conte les aventures du Gone, le temps de nos parents qui se sont sacrifiés pour que leurs enfants connaissent un meilleur sort qu'eux. Je fais revivre la mémoire. Je le sais en regardant dans les yeux de mes jeunes lecteurs, dans les banlieues. Désormais, nous sommes dans les rayons de la mémoire de ce pays, gravés dans son histoire, l'histoire de la France.» Dans son dernier roman Marteau pique-cœur, Azouz Begag raconte la mort de son père. Et il nous dit (en juin 2004) : «Je suis retourné, il y a deux ans en Algérie, après 25 ans d'absence, pour l'enterrer près de la maison qu'il a fait construire pendant 30 ans, dans laquelle il a englouti toutes ses économies et qu'il n'aura jamais habitée. Pour mon père, c'était le dernier voyage, et pour ma fille, qui avait 15 ans, le premier. J'ai eu le sentiment de participer à la transmission d'un héritage. Les enfants ne demandent pas aux parents de se sacrifier, mais de vivre leur vie pour que, eux, puissent inventer leur vie. La rupture se fait là. Je ne vais pas construire une maison pendant 50 ans que je n'habiterai jamais.» Parcours Azouz Begag est né le 5 février 1957 à Lyon (Rhône) de parents algériens, originaires de Sétif. Il est docteur en sciences économiques. Après avoir enseigné cette matière à l'Ecole centrale de Lyon, il est nommé chargé de recherche en socioéconomie urbaine au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1986. Il est ensuite chargé de recherche en socioéconomie urbaine au CNRS, étant par ailleurs professeur invité à Cornell université(1988).. Azouz Begag a écrit 35 romans, enquêtes et ouvrages en sciences sociales parmi lesquels, L'Immigré et sa ville (1984), Quartiers sensibles écrit avec Christian Delorme, Le curé des Minguettes (1994). C'est une étude des formes de violence pratiquée par les jeunes d'origine immigrée dans les banlieues françaises défavorisées, en réponse à la violence à laquelle ils se sentent exposés dans le cadre de la société française. C. Delorme fut l'un des principaux organisateurs de la «Marche des Beurs» (la première manifestation nationale en France contre le racisme), en 1983 ; Zenzella (1997) ; Tranches de vie (1998). Pour son dernier Marteau pique-cœur publié en mars 2005, aux éditions Le Seuil, il a reçu le Marcel Pagnol ; Béni ou le Paradis privé , éditions Le Seuil, 1989 ; L'Ilet aux vents, Le Seuil, 1992 ; Les Chiens aussi, éditions Le Seuil, 1995. Dans ce roman, il raconte l'exploitation sociale des immigrés pauvres vivant en France, ici incarnés par des chiens ; Zenzela, éditions Le Seuil, 1997 ; Dis Oualla, Fayard, Collection Libres, 1997 ; Tranches de vie, Kleth Verlag, Stuttgart, 1998 ; Place du Pont ou la Médina de Lyon, éditions Autrement, Ecarts d'identité, Le Seuil (avec Abdellatif Chaouite), 1990. Une étude au sujet des problèmes des jeunes immigrés vivant en France et de la manière dont ils perçoivent leur marginalité ; La Révolte des lascars contre l'oubli à Vaulx-en-Velin, in Les Annales de la Recherche Urbaine, no 49, pp. 114-121, 1990. – Mai 2004 : chargé par le ministre de l'Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales d'une mission sur l'égalité des chances. – 2004 – 2005 : membre du Conseil économique et social, au titre des personnalités qualifiées dans le domaine économique, social, scientifique ou culturel, désigné sur proposition du Premier ministre. Azouz Begag est chevalier de l'ordre national du Mérite et chevalier de la Légion d'honneur.