Par : NADIR MAROUF Professeur émérite des universités Omar Carlier fait partie des premiers contingents de coopérants français venus enseigner à l'université d'Oran-Es-Sénia au titre du Service civil. Juriste de formation, il était affecté à la faculté de droit et sciences économiques dès l'année 1968-69, c'est-à-dire à une période inaugurale de l'ouverture des enseignements en licence. À l'époque, la faculté des lettres et sciences humaines, dont j'assurais le décanat pour les sections francophones, était située au premier étage du même corps d'immeuble, ce qui en dit long sur les effectifs encore balbutiants. Jean-Louis, avant de se nommer Omar, se faisait déjà remarquer par sa propension à fréquenter les enseignants "d'à côté", faisant montre d'une appétence particulière pour des sujets académiques au-delà du droit et de Sciences-po. Il était de toutes les conférences et rencontres scientifiques. Cette curiosité débordante l'amena à pérégriner aux côtés de nos étudiants d'histoire quand nous avons organisé la première sortie à Syga avec le professeur Décret, spécialiste de l'Antiquité nord-africaine, ainsi qu'à Honaine. Un peu plus tard, en 1972, il participa à une sortie de terrain dans le Touat, au milieu de toute la cohorte d'étudiants en sociologie qui remplissait à peine l'autocar de l'Onat. Ayant connu Rahmouna, une de nos anciennes étudiantes en section d'histoire (devenue, au terme de ses études, directrice de la bibliothèque de médecine à l'USTO), il convole en justes noces avec elle, en consentant de bonne grâce à se soumettre à certaines exigences parentales. Aussi, au terme d'une conversion, Jean-Louis se prénomma-t-il désormais Omar. Tout au long de sa carrière, en marge de ses charges pédagogiques, il ne cessa de s'interroger sur l'histoire sociale et culturelle du Maghreb, en général, et de l'Algérie, en particulier. Sa principale quête intellectuelle et scientifique portait sur l'histoire du mouvement national nord-africain. En marge du travail documentaire intense qui le menait sur le terrain des bibliothèques et des centres d'archives, il ne lésinait pas sur le contact humain aussi longtemps que les témoins vivants du siècle passé, dont il avait besoin, étaient susceptibles de se prêter à ses interviews. Et il y en avait beaucoup, notamment sur la genèse du mouvement national. Il s'est rapproché des derniers survivants qui ont côtoyé Messali Hadj, voire Abdelkrim El-Khettabi (le larder du mouvement de libération du Rif). Son souci d'aller à la source le distinguait de la tradition historiographique ambiante, tout au moins pour ce qui est du Maghreb. Il m'avait sollicité, une fois, pour le mettre en relation avec mon oncle Boumediène Marouf, ainsi que Mohammed Guenanech, tous deux proches compagnons de Messali Hadj. Au-delà des biographies qu'il récoltait, son attention était dirigée sur les péripéties locales, épisodes ou autres événements apparemment imperceptibles, dont il parvenait, cependant, à recueillir des informations précieuses grâce auxquelles, il a pu contribuer à asseoir une méthodologie longtemps négligée depuis l'œuvre de Jacques Berque et autres orientalistes de sa promotion. Ainsi, la quête d'histoire locale donna lieu à une conjonction interdisciplinaire entre anthropologie culturelle, anthropologie historique et anthropologie politique. Cette triple perspective, focalisée sur le local, a permis à Omar de nous offrir un regard renouvelé, à la fois profond et restitué avec des mots simples, la fresque qui dessine l'histoire sociale maghrébine, en générale, et algérienne, en particulier. Ce fut un grand honneur pour moi quand Omar accepta de contribuer à un ouvrage que j'ai publié dans le cadre du CEFRESS, un Centre que je dirigeais à l'université de Picardie-Amiens, intitulé : Espaces maghrébins : la force du local ? (Ed. L'Harmattan, 1995). Il participa activement au colloque international que j'organisais en novembre 2006 sur "Le fait colonial au Maghreb : ruptures et continuités" (CEFRESS, même éditeur). L'histoire politique et sociale de l'Algérie contemporaine, couvrant, en gros, tout le vingtième siècle (1914-2002), a été écrite par de nombreux auteurs. Certains ont connu une postérité à la mesure des appétences médiatiques pour l'événementiel ou le tragique de l'histoire immédiate. Ceux-là ont pris place dans le carnet d'adresse des historiens patentés. Quant à Omar, qui n'a pas su ni voulu "se vendre" au marché médiatique, reste et restera pour le temps long, c'est-à-dire pour la postérité, un des rares chercheurs contemporains à avoir osé un regard phénoménologique de l'histoire du Maghreb en train de se faire. Que Dieu ait son âme.