Faute de candidats, la commune d'Akbou dans la wilaya de Béjaia n'aura pas de maire après le 27 novembre prochain. Une situation qui n'est pas prévue dans le code communal. Frondeurs, les Akbouciens assument un choix politique radical qui risque de se retourner contre eux. Mouloud Salhi qui quitte ses fonctions de maire, à la fin du mois en cours, n'aura pas de successeur. Une des plus importantes communes d'Algérie, Akbou, se retrouvera au lendemain des prochaines élections locales sans magistrat. Une situation inédite et un cas non prévu par le code communal. Aucun parti politique et encore moins les indépendants n'ont réussi à présenter des candidats. Même le Front des forces socialistes, historiquement implanté dans cette immense localité, n'est pas parvenu à convaincre ses militants de se jeter dans cette bataille électorale. La section locale du parti s'est ouvertement opposée à sa direction qui a fait le choix de prendre part aux élections. Même le maire sortant, Mouloud Salhi, n'a pas "osé" se représenter pour un second mandat. "Notre équipe, qui gère l'APC depuis cinq ans, ne peut qu'obéir à la volonté populaire. Il faut dire que la plupart des Akbouciens rejettent ces élections. Une façon d'exprimer également notre solidarité avec les détenus d'opinion qui croupissent toujours en prison", confesse-t-il. C'est dire la caractéristique bien particulière de ce bastion des luttes démocratiques. Radicalement frondeuse, Akbou rejette, et de manière catégorique, le scrutin du 27 novembre qui finalement n'aura pas lieu dans cette commune qui compte 80 000 habitants. Si, en effet, les Akbouciens brandissent fièrement cette "victoire politique" en réussissant à rendre impossible la tenue des élections, ils ne manquent pas de s'interroger sur les conséquences de l'absence d'une Assemblée élue. La commune risque de voir les projets de développement bloqués. "Je suis vraiment triste, l'avenir de notre commune est incertain, l'essor économique qu'elle connaît risque d'être stoppé net", se désole le maire sortant. S'il est vrai que les compétences de la commune sont extrêmement limitées en matière de décision et de gestion des affaires de la cité, il n'en demeure pas moins que la vie quotidienne des citoyens en dépend. Entre la raison politique et les raisons pragmatiques, les Akbouciens ont fait le premier choix, quitte à en assumer les conséquences qui peuvent être néfastes pour la vie quotidienne. "Signe d'une maturité politique de la population d'Akbou", s'enorgueillit le premier secrétaire de la section du FFS, Aziz Mekhnache. Une opinion partagée par Makhlouf, commerçant de son état. "La participation à ce scrutin constitue, à mon avis, une caution à la feuille de route du pouvoir qui ne cesse de mener une politique répressive sans précédent contre tous les opposants au régime", tranche-t-il. Prendre part aux élections reviendrait à "trahir" l'engagement du Hirak et des militants incarcérés. Le rejet du scrutin est comme inscrit dans la continuité de l'esprit de l'insurrection citoyenne du 22 Février dont Akbou était un des cœurs battants. Mais cette flamme révolutionnaire, qui a façonné cette cité de la Vallée de la Soummam, remonte aux temps anciens. Elle était l'un des épicentres de l'insurrection de 1971. Une filiation jamais rompue. D'Abderrahmane Farès, président de l'Exécutif provisoire qui a négocié le départ des troupes françaises, à Djamel Zenati, figure combattante du Mouvement culturel berbère et de l'opposition démocratique, Akbou a toujours été un fief d'agitation politique, un haut lieu de batailles citoyennes. Mais cette région qui aspire à devenir une wilaya, vu sa démographie et ses grandes potentialités économiques, est aussi le poumon de l'économie nationale quant à l'agroalimentaire. Akbou, sa zone industrielle, est l'une des plus importantes du pays. Elle le nourrit en partie. Avec ses usines aussi modernes que performantes, elle est sur une dynamique croissante. L'absence d'une gouvernance locale peut bien ralentir cette intense activité industrielle. "Je crains fort pour l'avenir du développement dans notre région. Qui va assurer le suivi des projets mûris ou déjà lancés ?", s'inquiète Mouloud Salhi. Ce dernier redoute également le risque de voir des projets d'utilité publique bloqués. Il cite, à ce propos, le stade des Martyrs d'Akbou qui coûte à la trésorerie communale près de 90 milliards de centimes. Le projet de canalisation et d'aménagement de l'oued Illoula, sur une distance de cinq kilomètres linéaires, engloutira environ 80 milliards de centimes. Incertitudes Que fera l'Etat face à ce vide institutionnel local ? Le code communal n'a pas prévu pareille situation. Va-t-il organiser une élection partielle ? Quand et comment ? Un sérieux dilemme pour la wilaya de Béjaïa. Pour l'heure, aucun responsable ne s'exprime sur ce cas inédit. Ni le wali ni le ministre de l'Intérieur. L'option de la nomination d'un administrateur n'est pas écartée même si elle risque de créer un "casus belli". Mais que pourrait faire un administrateur ? "Il ne pourra que gérer les affaires courantes, sans pouvoir faire face aux grands défis", prévient l'actuel maire qui s'apprête à faire ses cartons. Dans l'indifférence totale, les habitants d'Akbou ne semblent pas trop préoccupés par l'aspect strictement administratif qu'incarne une Assemblée élue. "De toute manière, elle n'est pas le lieu où se règlent les problèmes des citoyens. À qui sert une assemblée sans prérogatives, autant ne pas dépenser de l'argent pour élire une assemblée qui, au final, ne peut résoudre nos problèmes", soutient un jeune au chômage. Mais il faut dire que la motivation centrale qui a amené les Akbouciens à réussir cette opération de non-élection reste politique. "Nous ne pouvons pas voter dans un climat politique où l'expression libre est interdite", peste un militant du Parti des travailleurs, lequel parti avait décidé de donner libre choix quant au vote à ses militants. Les militants du Rassemblement pour la culture et la démocratie se réjouissent du fait que leur localité ne prenne pas part au rendez-vous du 27 novembre. "C'est la preuve que notre parti est en harmonie avec les aspirations des citoyens", exulte un militant de ce parti. Si, en effet, cette tendance du rejet est majoritaire, il se trouve que d'autres citoyens, à mesure que l'échéance s'approche, s'interrogent sur la "fiabilité" de la non-élection. "Demain, nous aurons besoin des services communaux, ne serait-ce que pour les papiers d'état civil. Qui pourra signer ces documents dont nous aurons besoin dans notre vie de tous les jours. nous serons confrontés à de sérieux problèmes", craint un père de famille. "La mairie n'est pas un enjeu de politique nationale. On peut être contre le pouvoir politique central et sa feuille de route, et être pour une élection locale. Ce n'est pas antinomique", défend un élu de l'Assemblée communale sortante. "Des citoyens vont être livrés à eux-mêmes", met-il en garde. Un sérieux dilemme.