Le parc zoologique de Ammi l'Hocine est une arche de Noé miniature. Grandeur non pas nature mais de la nature. Sur un jardinet d'à peine 70 mètres sur 80, il fait cohabiter, chacun dans son espace, des singes avec des chacals, des porcs-épics avec des sangliers, des chèvres chinoises avec des rapaces, des perdrix avec des lapins, des paons avec des canards et un tas d'autres créatures à poil, à plume ou à fourrure. Non, nous ne sommes pas à Ben Aknoun, loin s'en faut, mais à Tifrit, un petit village perché au-dessus d'Akbou. Et l'homme qui donne la becquée à l'aigle royal ou le biberon à la vieille laie de 19 ans ; l'homme qui a créé ce parc de ses propres mains en aménageant volières, enclos, cages et bassins pour toute cette ménagerie foraine, c'est Ammi l'Hocine Keffous, ci-devant artisan ferronnier mais grand ami des animaux devant l'éternel. Bricoleur de génie, il met son talent et son atelier au service de ses amis les bêtes à qui il confectionne toutes sortes d'abris. Ses bêtes vivent de ce qu'il gagne et des dons des particuliers. Pas une seule subvention des services publics. Même si son projet est reconnu d'intérêt public, scientifique et pédagogique, il n'aura pas un traître sou de la part de l'Etat. Il se débrouille tout seul. Ce qu'il gagne dans son modeste atelier de ferronnerie, il le partage équitablement entre ses bêtes et ses enfants. Cela fait beaucoup de bouches et de becs à nourrir mais il n'en a cure. À chaque fois que des gardes forestiers du parc national de Gouraya lui ramènent des animaux saisis ou que des particuliers lui offrent une espèce capturée dans la nature, Ammi l'Hocine est content. C'est comme ça que le zoo s'est agrandi et c'est ainsi qu'est née la vocation de Ammi l'Hocine. Rapprocher les animaux des hommes et vice versa. Apprendre à se respecter, à vivre ensemble. Il a commencé il y a longtemps avec des marcassins adoptés qui le suivaient partout. Puis, des chacals. Il sortait suivi d'une cour hétéroclite d'animaux sauvages et domestiques excitant la curiosité de tous. Peu à peu, il est devenu une curiosité locale que l'on venait voir de partout surtout le jour où il a ramené un lionceau qui n'a pas tardé à devenir un superbe félin. Les gens se pressaient pour voir sa majesté Rostom le lion siffler une limonade au goulot ou le sanglier déguster une crème glacée à la terrasse d'un café. Le roi des animaux le suivait partout comme un toutou. Une grande complicité est née entre l'homme et le félin. Une complicité partagée pendant huit ans. Le coup dur est arrivé en 2000 avec la mort du lion, la coqueluche, le clou du spectacle vivant qu'offrait le petit zoo. Depuis, Ammi l'Hocine n'a pu le remplacer ; toutes ses demandes pour que Ben Aknoun lui cède un lionceau sont restées lettre morte. Depuis, Rostom trône empaillé dans le minuscule musée qui abrite également la peau d'une hyène rayée, des tableaux de peinture et quelques babioles dont des calèches richement décorées. Des calèches ?! C'est son fils qui nous fournit l'explication de cette étrange présence : elles sont louées aux cortèges nuptiaux qui en font la demande pour permettre aux deux tourtereaux de parader de manière originale. Une manière aussi pour cet original qu'est Ammi l'Hocine d'arrondir ses fins de mois car la caisse est souvent vide même si l'entrée du parc est payante. De 10 à 30 dinars pour des familles ou des groupes d'écoliers de la région. Ce qui chagrine vraiment notre homme, c'est le mépris des autorités envers son travail. Malgré ses demandes répétées, le wali de Béjaïa refuse obstinément de le recevoir. Même la lettre d'introduction d'un certain Ahmed Ouyahia, pourtant chef de gouvernement en poste, ne lui a pas ouvert cette satanée porte. Misère de montagnard qui ouvre plus facilement la cage du lion que la porte du wali. Il devait réaliser avec l'aide du PNG, le parc national du Gouraya et l'UCD, un organisme public chargé de la préservation de la nature, un parc zoologique à Béjaïa pour lequel le choix de terrain avait été fait et Ammi l'Hocine attend toujours depuis des mois et des années que l'on veuille bien signer les papiers nécessaires au projet. Il attend également que le ministre de l'agriculture ou la direction des forêts veuille donner le feu vert au parc de Ben Aknoun pour qu'on lui vende un lion. Il attend et nourrit son désespoir de promesses fermes et de lettre morte. Quand les autorités de la région se rappellent de lui, c'est qu'il y a une délégation étrangère à laquelle il faut montrer fièrement l'homme et ses animaux. Comme une bête de cirque. Un jour en arrivant chez lui, il trouve son parc pavoisé aux couleurs nationales. Il ne tarde pas à comprendre que des officiels étrangers étaient attendus. “Vous vous rendez compte ? Le drapeau algérien accroché à la cage du sanglier ! Quelle honte ! C'est du n'importe quoi !”, nous dit ce fils de chahid qui s'étrangle encore aujourd'hui au souvenir des inconséquences des autorités à tous les niveaux. “Si je persiste encore dans ce travail, c'est juste une question de nif”, nous dit-il complètement désabusé. Il est convaincu que rien ne fera bouger ceux qui ont le pouvoir de décision dans ce pays car ils n'aiment pas aider les gens du peuple. “Ils ne bougeront pas le petit doigt même si, comme dit le proverbe kabyle : "asendawidh izem deg mezogh !”, conclut Ammi l'Hocine. Pourtant, même s'il paraît au bord du désespoir, tous ceux qui le connaissent savent qu'il ne va pas abandonner. Ils savent que du lion, il n'a pas seulement la crinière blanche mais également le courage. Djamel Alilat