La pauvreté est toute nue dans la commune de Ouled Fadhel, à l'est du chef-lieu de la wilaya de Batna. Outre le chef-lieu de Douffana, gravitent autour d'elle sept mechtas : Ouled Mezzour, Roknia (Boulfreïs), Legrine, Ouled Bouhadra, Drâa Touil, Boumaraf, Gabel Amrane. La localité d'Ouled Fadhel s'étend sur 205 km2 et compte 9 963 habitants, selon le recensement de l'année 1998. Le premier constat, lorsque le visiteur se promène dans les rues du chef-lieu et des mechtas de cette commune, est le nombre important de jeunes désœuvrés qui “pavoisent”. “Le chômage des jeunes ne fait que croître. Ils sont nombreux à ne pas trouver d'emploi après leur sortie de l'école ou de l'université, même en acceptant des postes inférieurs”, nous fait observer un jeune universitaire de la commune. Des propos qui vont à l'encontre de l'adjoint au maire qui nous a affirmé que des jeunes avaient refusé de travailler dans la Maison de jeunes parce qu'ils ont trouvé le travail dévalorisant. Les jeunes déambulent dans les rues sans but précis, juste pour “tuer” le temps. Les chômeurs demandent qu'on leur octroie des parcelles de terre pour subvenir à leurs besoins. L'adjoint au maire, lors de l'entretien qu'il nous a accordé, nous a appris que beaucoup d'agriculteurs avaient sollicité la construction rurale pour retourner travailler leurs parcelles de terre. Interrogé sur les activités culturelles, l'adjoint au maire nous répond, sans détour et sur un ton navré : “Nous avons une Maison de jeunes gérée par une seule personne qui est le directeur. Seulement elle est la plupart des temps fermée. D'ailleurs, vous pouvez passer et vérifier par vous-même”. “Même si elle est ouverte, nous fait remarquer un jeune, vous ne trouverez rien d'intéressant.” Le message est très clair : Circulez ! Il n'y a rien à voir à part ces voiles ou tourbillons de poussières soulevés par le vent et les véhicules qui traversent le chef-lieu à vive allure. La boue ramenée par les oueds lors de la dernière crue de la saison dernière est encore présente sur les rues et les trottoirs du village. Péril des oueds et insuffisances sociales Les oueds de Ouled Berghouth et de Douffana inquiètent la population. Ces deux cours d'eau, lorsque les crues sont brusques et abondantes, débordent de leurs lits et des masses d'eau chargées de boue inondent les bas quartiers. Le chef-lieu de la commune en avait fait les frais. L'adjoint au maire se plaint et raconte : “A l'époque, le wali Ouali Abdelkader, qui s'était déplacé sur les lieux et qui était témoin des dégâts causés par l'oued Berghouth, nous avait promis qu'une solution serait trouvée à ce oued. Depuis, on attend et les responsables de l'hydraulique ne se sont toujours pas manifestés […]”. Il ajoute sur un ton désespéré : “Nous avons même sollicité les services des travaux publics pour déblayer les rues de la boue mais nos sollicitations sont restées lettre morte.” Manifestement, rien n'avait été entrepris depuis. Dehors, des couches ou des traces de boue couvrent les rues et enlaidissent l'environnement. Au passage des véhicules, des nuages de poussière s'élèvent ; il y a un risque à long terme d'engendrer des maladies respiratoires. Apparemment, celui qui semble causer le plus de dégâts est l'oued Berghouth. Lorsqu'il est en crue, il descend en furie en causant énormément de dégâts, entre autres, aux habitations qui témoignent encore de la gravité de la situation. “Laisse-là à Dieu, si jamais les débordements des eaux seront plus forts que ceux de la saison dernière, ils emporteront tout.” Les mémoires s'en souviennent et racontent comment ces crues avaient pénétré l'intérieur des maisons et avaient causé des dégâts énormes à une population très démunie. Un vieux témoigne : “C'était un vrai désastre et les dégâts étaient énormes.” La population recommande des digues ou une retenue collinaire pour discipliner le régime capricieux des deux oueds et accumuler le débit, que les crues roulent stérilement dans la nature, pour le distribuer ensuite dans les canaux qui portent la vie dans les vastes terres des mechtas infécondes. Les citoyens ont également signalé beaucoup d'insuffisances ou carrément des manques, à l'image des 15 km d'éclairage, du centre de Ouled Hedjaz, qui ne sont pas achevés depuis 1997 par la Serub, les 17 maisons du village qui ne sont pas encore équipées d'installations électriques, l'absence d'aménagement du chef-lieu, l'équipement du village de Roknia (Boulfreis) en gaz de ville bien que la station de distribution se trouve à 200 m du village. De plus, il a été mentionné la défectuosité de la chaussée de certaines routes, à l'image de celle de Mechta Boumaraf dont un employé nous a dit qu'elle était impraticable. Ce même employé nous a parlé de l'inexistence de pont et raconte : “Le jour des crues, la population du Mechta Boumaraf ne peut ni sortir, ni rentrer chez elle […]. Nous attendons que l'eau de l'oued diminue pour qu'on puisse passer. Le même calvaire se répète pour la population depuis la nuit des temps pendant les intempéries ou le mauvais temps.” En outre les habitants se plaignent aussi de la couverture sanitaire. La santé se porte mal Le chef-lieu de la commune, ainsi que les mechtas qui lui sont rattachées administrativement, sont en train de faire face à un problème crucial qui se dessine dans la couverture sanitaire de la population. La santé est en butte à des critiques soit des élus, soit de la population. Lors de notre passage dans la commune, tout le monde se plaignait. Le problème, annonçons-le d'avance, n'est pas un problème de structures sanitaires parce que la commune en dispose largement et suffisamment pour assurer la couverture totale du territoire de la commune, mais le mal réside dans la disponibilité de médicaments et l'abandon de poste par les personnels médical et paramédical. Les élus et les citoyens contactés récriminent sur l'absence du personnel pendant les heures du travail dans les structures de santé. “Ils sont souvent absents, invective un citoyen. Venez voir de vos propres yeux pour ne pas dire que nous sommes en train de vous mentir. Ils viennent un moment juste pour marquer leur présence puis ils s'esquivent.” “Nous avons deux médecins qui viennent de Batna, témoigne l'adjoint au maire. Ils viennent à 9 heures et rentrent à midi.” Un citoyen présent à la discussion ironise : “Juste de quoi nous encenser de leur baraka et repartir chez eux”. “Nos malades, continue l'adjoint au maire, nous les transportons le jour ou la nuit à Kais et si leur cas est grave, nous les transportons au centre hospitalo-universitaire de Batna.” Un autre élu, qui vient d'arriver, ajoute son grain de sel : “Même pour les légères blessures, faute de personnel médical, nous les transportons à Kais et Batna parce que les centres de santé et les AMG sont pour la plupart du temps fermés et s'ils ne sont pas fermés les infirmiers vous diront qu'ils n'ont pas de quoi de vous soigner.” La situation est alarmante. Un citoyen nous dit : “Celui qui tombe malade pendant la nuit doit prendre son mal en patience jusqu'au lever du jour, bien sûr, s'il n'a pas quitté la vie entre-temps.” Notre premier interlocuteur, l'adjoint au maire, précise : “Nous avons écrit plusieurs fois aux autorités, au directeur du secteur sanitaire de Batna et à la direction de la santé et de la population de la wilaya de Batna. Aucune mesure n'a été prise à leur encontre et les choses n'ont pas changé depuis d'un iota.” Pour débloquer cette situation, les responsables de la santé devraient se déplacer sur les lieux et écouter les doléances de la population à moins qu'ils attendent qu'une émeute éclate pour aller faire les sapeurs-pompiers. Une agriculture extensive Sur les 11 000 hectares de terre agricole dont dispose la commune de Ouled Fadhel, 4 000 seulement représentent une superficie agricole utile qui, d'ailleurs, n'est pas à l'abri du danger de la désertification. Cette dernière est, selon l'avis des fellahs consultés, en train de prendre le pas sur les terres arables. Les problèmes auxquels se heurte l'agriculture dans la région sont incalculables et pour le moment, insurmontables. Leur solution risquera de prendre du temps à cause de la propriété foncière. “La plupart des terres sont des terres arch et leurs problèmes sont nombreux […]”, synthétise un fellah. Additionnons à cela les connaissances limitées ou l'ignorance des fellahs dans le domaine de l'agriculture, la parcellisation des terres, la pluviosité très faible pendant la germination, l'absence d'irrigation, le matériel agricole traditionnel et très vétuste. Cette absence de modernisation et mécanisation du travail agricole n'a pas permis une utilisation meilleure des sols arables et de meilleurs rendements. Là où nous sommes passés, la culture est pratiquée d'une manière traditionnelle. Elle est extensive et pratiquée sur de vastes surfaces avec un rendement faible ne dépassant pas les 10 quintaux à l'hectare, selon les informations recueillies auprès de certains fellahs. Certes, un léger mieux est enregistrée par-ci par-là, à l'exemple de Legrine et Drâa-Touil, mais l'agriculture, disons-le, n'a pas encore répondu aux objectifs arrêtés : nourrir la population et lui fournir du travail surtout que l'industrie est inexistante pour employer tous les bras disponibles. Le même décor de désolation de Douffana jusqu'à Roknia (Boulfreïs) ! Beaucoup d'efforts et de réalisations restent à accomplir dans le domaine de l'agriculture dont les résultats restent maigres. Nous bifurquons à gauche, vers Chemora. La route de 30 kilomètres est médiocre. Le long de ce tronçon Boulfreis-Chemora, un paysage désolé et dévasté s'offrait avec regret et déception à la vue. Cette étendue qu'on embrasse d'un seul regard sort notre guide, un technicien agricole, de sa réserve. Il nous enrichit de toute une leçon sur les caractéristiques des sols de la steppe. “C'est l'abandon des terres agricoles par leurs propriétaires”, nous renseigne-t-il sur la véritable cause. Une formation végétale constituée de grandes herbes desséchées couvrait toute les terres autrefois arables. Concernant l'équipe du Haut Commissariat de la Steppe, l'adjoint du maire répond : “Ils sont venus, ils sont restés quelques temps puis ils sont partis.” Au sujet des réalisations accomplies, notre interlocuteur les résume en cette phrase : “Ils ont réalisé deux forages et quelques plantations de figuiers de barbarie et ils ont repartis”. A notre question si les agriculteurs procèdent au labourage des sols steppiques, sur le qui-vive, le technicien prévient : “Il risque de déséquilibrer la structure du sol en le blessant définitivement !” D'autres explications scientifiques portant sur les sols steppiques éclairent sur le danger qui menace ces immenses plaines. La commune de Ouled Fadhel souffre de beaucoup de manques et c'est aux élus et responsable de cette commune de trouver des idées neuves pour décoller l'économie du bled et créer du travail pour les jeunes surtout dans le domaine de l'agriculture qui offre énormément de possibilités. B. B.