Avec la signature d'un accord militaire avec Rabat, "Tel-Aviv s'introduit en Afrique du Nord et s'offre une opportunité stratégique sur toute la région, ainsi que dans la région du Sahel", analyse le politologue Hasni Abidi. Liberté : Quelle lecture faites-vous de la visite du ministre de la Défense israélien, la première du genre, au Maroc ? Hasni Abidi : C'est une visite de grande importance préparée en amont depuis plusieurs mois. Elle s'inscrit dans la volonté du Maroc non seulement d'officialiser davantage ses liens avec Israël, mais aussi de lui donner un habillage institutionnel qui s'inscrit dans un temps long. Force est de constater que le timing n'est pas un hasard. La visite du ministre de la Défense intervient dans une séquence où le Maroc est dans une "position offensive" en matière de politique étrangère. Quels sont les enjeux que revêt la coopération sécuritaire, souhaitée intense, entre les deux pays ? La visite et la signature des accords, ce qui est public et confidentiel, sont déjà un exploit. Les accords ont une portée institutionnelle et évolutive. On assiste à la fin d'un mythe israélien qui interdit toute sophistication d'une défense ou militarisation d'un Etat arabe. Au-delà des équipements militaires stratégiques dont les systèmes de défense, Israël offre une assurance-vie au Maroc. Le projet d'une base militaire au Maroc constitue une ligne rouge dans la politique étrangère d'Israël que même les premiers partenaires arabes d'Israël n'ont pas voulu franchir. Ainsi, à travers le Maroc, Israël s'introduit en Afrique du Nord et s'offre une opportunité stratégique sur toute la région, ainsi que dans la région du Sahel. Quelles seront les conséquences de ce rapprochement historique entre les deux parties sur la région ? Il s'agit plus que d'une alliance. C'est un pacte stratégique que le Maroc tient à rentabiliser comme une légitimation de la normalisation des relations avec Israël et surtout une nouvelle construction de la politique étrangère marocaine destinée à briser l'équilibre des forces dans la région en vue d'un leadership marocain en matière de défense et de supériorité militaire comportant un risque de militarisation à outrance. Quant à Israël, sa relation avec le Maroc est fonctionnelle. Il s'installe au-delà de ses frontières naturelles, il n'est plus l'Etat paria, et enfin, il prive la cause palestinienne d'un argument de taille : pas de normalisation sans les droits des Palestiniens. Comment l'Algérie va-t-elle évoluer face à cette nouvelle donne ? La visite du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, sa première à l'étranger, n'est pas une coïncidence. Elle intervient alors que les relations diplomatiques entre Alger et Rabat sont rompues depuis août 2021. Alger évoque des "actions hostiles" du Maroc. Avec la nouvelle visite, l'acquisition par le Maroc du système israélien Skylock Dome, conçu pour détecter et neutraliser les drones, les roquettes, l'artillerie et les mortiers, n'est pas de nature à rassurer les autorités algériennes. Au contraire, Alger va probablement réviser sa stratégie de défense et revoir ses alliances pour contrer la position "triomphante" adoptée par le Maroc depuis la reconnaissance de la "marocanité du Sahara" par Donald Trump. Le projet de l'Union du Maghreb est-il, de ce point de vue, définitivement enterré ? La séquence israélienne va étouffer les économies de la région en raison de la relance de la course aux armements et de l'appauvrissement des populations. Pire, elle accélère le rétrécissement des espaces de libertés déjà à l'étroit. L'approche d'intégration régionale basée sur l'économie demeure une approche réaliste capable de traverser les divergences politiques et les tensions du moment. Au lendemain de son lancement, le projet de l'UMA a suscité une lueur d'espoir sans enthousiasme car il contourne les difficultés structurelles qui retardent le rapprochement entre les Etats du Maghreb. La séquence actuelle n'est pas le meilleur moment pour relancer ce projet. Hélas !