Les éditions Franz-Fanon ont fait paraître, il y a quelques semaines, un roman en darija sous la plume de Rabeh Sebaa. L'originalité de l'édition est qu'elle offre deux versions graphiques : l'une en caractères arabes et l'autre en caractères latins (pour les non lettrés en arabe). Les deux versions de Fahla sont disponibles en librairies. La langue de ce roman est celle de nous tous, celle de nos familles, de nos amis, de nos rencontres, de nos joies et de nos peines. C'est une langue qui nous ressemble, celle du parler algérien contemporain. Ceci constitue un acte symbolique majeur, même si d'autres efforts analogues ont déjà eu lieu, dont la fameuse version du Petit Prince de Saint-Exupéry – publiée par les Editions Barzakh en 2008 - qui a donné El-Amir es-sghir. Ces petits pas bien timides ne prouvent qu'une chose, c'est que la darija peut s'écrire et que son patrimoine peut se diffuser sans tabou. Le passage de l'arabe classique à la darija et vice-versa est un phénomène universel qui s'appelle le bilinguisme. Eh oui, nous baignons dans un bilinguisme effectif (que certains appellent "diglossie") ; il nous suffit de l'assumer pour abattre ce mur de la réserve linguistique qui nous plonge dans un refus de soi et dans la projection sur des mondes imaginaires. S'assumer dans sa langue de naissance, se regarder mutuellement comme des partenaires de dialogue et d'échange : voilà ce que l'imposition d'un monolinguisme de façade nous empêche de réaliser chaque jour. Avec son roman en langue maternelle algérienne, Rabeh Sebaa nous invite à déguster le plaisir de se retrouver dans ces mots et expressions qui meublent notre vie au quotidien. J'aurais beau vous faire envie, rien ne remplacera sa lecture par vous-mêmes. Une chose est sûre : une magie s'emparera de vous sans que vous ne vous en aperceviez. Faites-en l'expérience.